Tout lire sur: Le Monde Livres
Source du texte: Lecture
Toutes deux scandaleuses et intenables, la sainteté catholique et sa cadette, la pop culture, sont des mondes où l’on meurt parfois fort jeune, ne laissant derrière soi qu’un stock de produits dérivés, une poignée de manuscrits, quelques reliques et un pèlerinage funéraire. Si Thérèse de Lisieux (1873-1897) nous quitte à 24 ans, dévorée par la tuberculose, nous léguant des écrits où s’offre la révolution d’une nouvelle « petite voie » spirituelle, Jim Morrison (1943-1971), l’âme des Doors, périt, lui, à 27 ans, du cœur dit-on, nous laissant seuls finir la nuit, mais plus riches de quelques compositions mythiques (The End, Riders on the Storm) et d’une œuvre poétique fascinante. La première repose à la basilique de Lisieux, le second au Père-Lachaise. Leurs fans sont rarement les mêmes, mais viennent de toute la Terre. Tous deux, chacun à sa façon, furent des âmes combattantes, de la graine de gladiateur vite germée, dansant sur le fil du rasoir, l’un en pantalon de cuir, sa consœur costumée en Jeanne d’Arc de patronage.
Ce qui fait la force d’Eloge d’une guerrière, de Jean de Saint-Cheron, est d’avoir placé le destin de Thérèse Martin sous le signe du sang et de la guerre, non du sucre écœurant et de l’encens de rigueur. Car, si le prophète est une créature que Dieu attrape par les cheveux pour lui imposer mission et message, le saint, lui, se bat, ne vit que de se battre avec lui-même. On suit ainsi Thérèse au fil de batailles et d’embuscades. Une vie entrecoupée de drames (mort de sa mère, folie de son père), mais aussi de révélations (amour universel du Christ, sacrifice de soi et miséricorde), de combats violents (prier pour le salut de l’assassin Pranzini) et de victoires (braver la règle en se jetant au carmel dès ses 15 ans). Retrouvant le style décapé et le pinceau festif des grands hagiographes littéraires (Delteil, Bernanos, Claudel), Jean de Saint-Cheron n’en pratique pas moins une analyse précise de la vision de cette docteure de l’Eglise, analysant avec acuité les étapes et la substance de la « petite voie » de l’amour thérésien.
Jim Morrison quittait moins ses carnets de notes qu’un dévot son chapelet, y consignant émois, visions et méditations. Retrouvés à la mort de sa compagne, les textes qu’égrène le sublime recueil Wilderness (« la nature à l’état sauvage ») sont des pépites poétiques, lambeaux scintillants, véritables coups de sang lyriques. Ce qui s’y déroule est une sorte d’orphisme politique : Morrison use du décor américain, avant tout l’autoroute, du spectacle de la cité sans fin, pour développer une méditation chamanique et rimbaldienne de l’homme et de sa tragédie. Il se risque même à un court portrait de Thérèse de Lisieux : « En elle/ demeurait intact/ le frais miracle/ de la surprise. »
Il vous reste 13.46% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.