Image

La cité aux murs incertains | L’aboutissement d’un lointain écho onirique

Paru en premier sur (source): journal La Presse

Aux nombreux romans japonais récemment publiés présentant des histoires semi-chimériques où la simplicité frise la mièvrerie, La cité aux murs incertains oppose une véritable classe de maître.


Publié à 7 h 00

C’est que le projet de Murakami ne s’est pas écrit en un claquement de clavier ; la postface revient d’ailleurs sur ce chantier de longue haleine, né sous la forme d’une nouvelle en tout début de carrière, métamorphosé en roman quelques années plus tard, sous le titre La fin des temps, où il était déjà question de récits parallèles gravitant autour de cette fameuse cité imaginaire.

Mais pour l’auteur, ce réceptacle publié en 1985 avait un goût d’inachevé. « Ce texte est toujours resté dans un coin de ma tête, oui, comme une petite arête coincée dans la gorge », confesse-t-il dans les éclairages rédigés en marge du roman, expliquant que le Murakami d’il y a quatre décennies n’avait pas encore la maturité littéraire requise pour traiter cette histoire comme elle le méritait. Le Murakami d’aujourd’hui s’y est remis, couronnant de succès ce projet d’une vie.

La toile de fond désormais tissée, voici la substance de cette œuvre touffue (560 pages bien tassées). Le narrateur, d’abord jeune ado éperdument amoureux de sa dulcinée, se retrouve projeté dans une cité ceinte de hauts murs, peuplée d’habitants dépourvus d’ombre et régie par de curieuses règles. C’est là qu’il espère retrouver la trace de l’« autre moi » de sa bien-aimée disparue. Mais pour en franchir l’enceinte, il devra lui-même abandonner son ombre et altérer ses yeux, pour occuper la fonction de « liseur de rêves » dans une bibliothèque. S’agirait-il d’un piège ? Cet endroit existe-t-il vraiment ou n’est-il que le pur fruit de son imagination ? Les connexions avec la réalité ne cessent de se multiplier, et ces traits d’union ne font que faire mousser les interrogations à mesure que le héros vieillit.

Des ombres, des rêves et des questions

Tout comme ce a nécessité un profond engagement de son auteur, il en demandera autant à ses lecteurs. Non que le style, propre au Nippon, soit fastidieux à parcourir ; au contraire, il reste fidèle à la narration fluide, charmeuse, soignée et digeste à laquelle il nous a habitués. Mais de nombreuses phases de l’intrigue ou d’introspection ont été particulièrement développées — peut-être à l’excès, jugeront certains. Il en résulte une progression lente, parfois poussive, qui déplaira aux lecteurs pressés. Les patients, eux, obtiendront comme récompense certaines clés fournies en conclusion. Néanmoins, il ne faudra pas s’attendre à ce qu’elles ouvrent toutes les portes. Ou posons plutôt que celles-ci déboucheront sur d’autres, puisque les strates de La cité aux murs incertains, imbriquées les unes dans les autres, sont sujettes à mille interprétations et cogitations philosophiques. La beauté du point final réside ainsi dans les choix laissés au lecteur.

Empreint de réalisme magique (une référence explicite à García Márquez a été injectée entre deux paragraphes), de , de psychologie, et véritable hommage aux livres et aux bibliothèques, ce roman abouti nous scelle à ses protagonistes, produisant un écho onirique qui résonnera longtemps dans notre tête ; et dans notre cœur.

La cité aux murs incertains

La cité aux murs incertains

Belfond

560 pages

8,5/10

[...] continuer la lecture sur La Presse.

Palmarès des livres au Québec

Laissez un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *