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La dèche | « Akim Gagnon, c’est de la littérature qui déconstipe »

Paru en premier sur (source): journal La Presse

a eu les couilles assez grosses pour demander à Séguin de peindre une toile – son portrait en plus ! – spécialement pour la couverture de son troisième roman, La dèche. Autour d’une bouteille de pinard, les deux artistes jasent de littérature, de fric et de l’irremplaçable euphorie de créer.


Publié à 9 h 00

Comme le gars dans Atlantic de Springsteen, Akim Gagnon avait des dettes qu’un honnête homme ne peut rembourser. Seule différence : plutôt que de sombrer dans la criminalité, l’auteur de Granby au passé simple (2023) a judicieusement préféré opter pour la faillite.

Mais avant que tout soit essuyé et qu’il puisse repartir à neuf, son alter ego fera ripaille une dernière fois, le temps d’une orgie d’alcool, de viande et de rock’n’roll que même Pantagruel aurait jugée excessive.

Avec La dèche, son troisième roman, Akim Gagnon renoue en partie avec la jubilatoire outrance de son premier, Le cigare au bord des lèvres (2022), tout en chantant, la bouche pleine, les vertus salvatrices de l’art.

Un livre que a lu en entier (ou presque), en plus de peindre une toile pour sa couverture, à la demande d’Akim, le genre de bonhomme qui l’échappe parfois, mais pas quand vient le temps de rêver grand.

Presque en entier ? C’est qu’une bonne partie de la fin de ce roman souvent hilarant et parfois attendrissant raconte la rencontre entre Marc et Akim, qui admire sa parole sans ambages.

« Et l’affaire, c’est que j’ai une politique, une hygiène », explique le peintre au début d’une longue conversation, dans l’appart de Gagnon, autour d’une bouteille de pinard québécois. « Je m’interdis de lire ou d’entendre des choses sur moi. »

Pas de la belle littérature

Ce qui ne l’empêche pas d’avoir tout lu le reste de l’œuvre d’Akim Gagnon, et d’avoir un tas de fleurs à lui lancer.

 Akim, il a une façon d’écrire, de dire les choses, où il n’y a presque pas de filtre. Le seul filtre, c’est la littérature. J’en connais, des auteurs qui se demandent : “Est-ce que j’écris une belle chose ?” Akim, lui, il écrit, simplement, avec une énorme liberté, comme un peintre.

Marc Séguin

Avec son torrent de blagues de graine, ses fantasques comparaisons sorties de nulle part et ses références à des univers encore trop souvent pris de haut (comme la lutte professionnelle), Akim Gagnon pratique ce que Marc Séguin qualifie d’« anti-littérature ». « On n’est pas dans la belle littérature en tout cas… »

La belle littérature ? C’est-à-dire ? Marc Séguin ne se fait pas prier pour expliquer. « Tu sais, les auteurs à qui on remet des parce qu’ils sont là depuis assez longtemps et parce qu’ils savent quoi dire, mais sans aucune originalité. Akim, ça parle de pet, mais ce n’est jamais gratuit, c’est toujours profondément lui. C’est une vraie voix, que je ne lis pas ailleurs. C’est de la littérature qui déconstipe. »

PHOTO -SÉBASTIEN AUBERT,

Akim et Marc en pleine conversation

S’abreuver d’art

Au-delà de la chronique des mésaventures d’un Akim pris à la gorge, mais qui trouve toujours les moyens de se farcir la panse, La dèche est aussi une ode aux œuvres d’art auxquelles il s’abreuve avec la même inextinguible soif qui le lie joyeusement à la dive bouteille. Qu’il s’agisse de spectacles au Centre Bell ou des toiles de Marc Séguin.

« D’avoir accès à quelque chose d’immensément beau et grand comme ça, ça t’ouvre », se rappelle Akim au sujet de sa visite de l’atelier du peintre, la matière première d’un vibrant chapitre de son roman. « Il y a quelque chose qui se passe physiquement quand tu vois un truc comme ça en vrai. Et je me mets le plus souvent possible dans des situations où ça peut m’arriver, parce que ce que ça va m’éclabousser après. Ça m’arrose. »

Je ne me libère jamais autant qu’à travers l’art des autres. Si j’écris, c’est pour essayer de toucher à ce que je vis dans un show. Cet émerveillement-là, c’est un truc précieux, qui me sauve. Ce qui se passe quand je suis fan de quelque chose, ça me met une bûche en dedans.

Akim Gagnon

Mais parce que la littérature nourrit davantage le cœur que le bide, Akim se désole, entre les pages de La dèche comme dans la vie, que sa pratique ne suffise pas à payer son steak et les barreaux de chaise qu’il s’allume. Son nouveau livre est ainsi le récit d’un échec : même s’il sait pertinemment que ce n’est pas l’écriture qui va le sortir de sa merde, il s’acharne à utiliser cet odorant terreau afin d’y faire pousser des fleurs.

« On dirait que je m’entêtais à être malheureux à cause que je n’avais pas de cash, confie-t-il, et c’est ça l’échec de la patente, oui : la liberté de l’écriture continue de me rendre heureux, même si j’ai pas une câlisse de cenne. »

Une vie d’abondance

Marc Séguin, qui a longtemps mangé son pain noir avant de pouvoir y tartiner du foie gras, convient qu’« on devrait être capable de mieux faire vivre nos artistes. C’est un échec de société immense ».

Mais peu importe le fric qu’on a ou pas, l’essentiel demeure chez lui, à l’instar de chez Akim, ce sentiment qui irrigue son corps lorsqu’il a un pinceau dans la main.

« Chaque fois, dit-il, je retourne à la joie de mon enfance, la même que quand j’avais 5 ans et que je jouais avec mes Hot Wheels. Cette euphorie-là, c’est ce qui compte vraiment. »

Créer est peut-être, après tout, la façon la moins coûteuse de mener une vie d’abondance, de se repaître pour vrai. « Akim incarne une partie de nous tous qui chez lui est désinhibée, résume son célèbre admirateur. Il a un besoin, il veut dire ou vivre quelque chose et il s’arrange pour que ça se passe. Il n’a pas d’orgueil, mais de la meilleure manière au . »

La dèche

La dèche

Akim Gagnon

La Mèche

280 pages

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