Paru en premier sur (source): journal La Presse
Karine Tuil vise juste avec un roman réussi sur les coulisses du pouvoir, sous toutes ses formes
Publié à 13 h 30
Karine Tuil a le don d’aborder les sujets chauds de l’actualité et de les traiter sans complaisance, en évitant les clichés.
Son précédent roman, Les choses humaines traitait de la vague #metoo du point de vue d’une féministe dont le fils était accusé du viol d’une jeune fille dans une fête. Une histoire pleine de ramifications qui naviguait dans les zones de gris, dans l’univers de la justice et de la télé.
La romancière poursuit dans la même veine, celle de la critique sociale, en explorant cette fois les univers de la politique et du cinéma.
Dan Lehman, son personnage principal, est un président français déchu qui a perdu l’élection aux mains d’une candidate d’extrême droite.
Complètement déboussolé, en manque d’attention et de lumière, il sombre dans un blues post-défaite qu’il noie dans l’alcool et l’amertume. Comme la plupart des politiciens français (même si l’autrice assure que ce n’est pas un roman à clés, quel bonheur pour ceux et celles qui suivent de près la politique française d’essayer de deviner qui, des figures politiques de l’Hexagone, ont inspiré les personnages de Tuil !), Lehman publiera un livre, question de rester dans l’œil des médias. Malheureusement pour lui, une menace de poursuites judiciaires ainsi qu’une scène à caractère sexuel du livre feront déraper son plan de com (on pense ici à Fugue américaine, le roman de l’ancien ministre de l’Économie, Bruno Le Maire).
Dans les romans de Tuil, rien n’est jamais noir ou blanc, et c’est ce qui fait une partie de leur intérêt. Lehman n’est pas entièrement antipathique, même s’il est assez pathétique. Par contre, le milieu de la politique, avec ses jeux de coulisses et ses coups bas, est plutôt détestable. Du bonbon pour une romancière qui s’intéresse à la psyché humaine.
Et que dire du milieu du cinéma qui compose un des décors de ce roman décapant.
L’intrigue se déplace en effet à Cannes où la jeune épouse-trophée de Lehman, l’actrice Hilda Müller, ira présenter un film réalisé par un cinéaste en vogue. Comble du cynisme, le film est une adaptation du roman de l’ex-femme de Lehman, Marianne, qu’il souhaite reconquérir.
Karine Tuil est sans pitié pour ce milieu où les luttes de pouvoir peuvent être aussi féroces que dans l’univers politique.
En toile de fond de la déchéance de Dan Lehman, époque oblige, il y a aussi une critique des réseaux sociaux, capables de détruire en l’espace de quelques secondes une image qu’on aura mis des décennies à construire.
On dit que le pouvoir est la forme la plus intense de solitude et Karine Tuil le décrit admirablement bien dans cette comédie humaine. À la fin, c’est le patriarcat – soit le pouvoir de l’ensemble des hommes – qui est remis en question dans ce roman très réussi.

La guerre par d’autres moyens
Gallimard
384 pages