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La parole de Nelly Arcan enfin libérée?

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Treize ans après sa mort, enfin libérée de son apparence physique, c’est par ses écrits que l’écrivaine marque désormais les esprits. L’Université Laval offre en effet pour la première fois un cours de premier cycle de quinze semaines, entièrement consacré au corpus de l’autrice de Putain, de Folle, de L’enfant dans le miroir, ou de Burqa de chair, qui a couché sur papier autant son obsession que son dégoût pour les diktats corporels imposés aux femmes.

Alors aussi que la pièce La fureur de ce que je pense, à l’ingénieuse mise en scène de Marie Brassard, reprend l’affiche à l’Espace Go, Nelly Arcan continue d’influencer toute une génération de jeunes écrivains, dit Karine Rosso, professeure d’études littéraires à l’UQAM, qui signait en 2019 un roman intitulé Mon ennemie Nelly.

« C’est une oeuvre qui est polysémique, qui dit plusieurs choses et qui a plusieurs couches », dit-elle. Nelly Arcan fait la démonstration de l’aliénation des femmes à l’injonction d’une beauté normative, tout en la dénonçant.

Même ans après le début de l’ouragan #MeToo, ces diktats demeurent vifs, notamment par les réseaux sociaux, comme Instagram, où les jeunes, les filles en particulier, projettent une image souvent idéalisée.

Les chambres multipliées, où surgissent les sept représentations de Nelly Arcan dans la pièce La fureur de ce que je pense, rappellent d’ailleurs aujourd’hui l’univers des réseaux sociaux.

Avoir quarante ans

Si la pertinence de la réflexion demeure, les sept comédiennes qui y incarnent Nelly Arcan ont vieilli, depuis la première représentation de La fureur de ce que je pense, en 2013, rappelle Sophie Cadieux, qui a élaboré la pièce et qui y joue toujours aujourd’hui. Elles ont franchi le cap de la quarantaine, avec son vieillissement du corps, cet âge qui terrifiait tant Nelly Arcan, et que son suicide l’a empêchée, à tout jamais, de franchir.

« On est aujourd’hui à l’âge redoutable qu’elle a décidé de ne pas vivre, dit-elle en entrevue. Moi, j’ai 45 ans. La majorité des comédiennes dans le spectacle avaient 35 ans quand on a créé la pièce. Dix ans plus tard, on est dans cette pente-là, de femmes qui sont dans un nouvel espace, qui n’est pas celui de la ni celui de la vieillesse. Je sens que pour nous, il y a une assurance, une maturité dans notre jeu, un écho tellement différent à ses textes, à sa violence ». Certains thèmes de l’oeuvre d’Arcan, comme l’assignation du sexe à la naissance, sont on ne peut plus actuels aujourd’hui.

D’ailleurs, les réalités que Nelly Arcan dénonçait, tout en s’y soumettant, demeurent aujourd’hui. Karine Rosso relève que des millions et des millions de femmes ont toujours recours à la chirurgie plastique. Et le travail du sexe, que Nelly Arcan a pratiqué, notamment durant ses études en littérature, est toujours l’objet de débats entre féministes.

Entre émancipation et aliénation

« L’oeuvre de Nelly Arcan oscille entre l’émancipation et l’aliénation », remarque Catherine Parent, qui donne le cours Nelly Arcan, héritages, représentations et filiations, offert par l’Université Laval au baccalauréat. « Ces réalités-là sont tout à fait contemporaines et je le vois avec les étudiantes qui sont touchées par l’oeuvre », ajoute-t-elle. Cependant, remarque-t-elle, l’époque encourage peut-être davantage aujourd’hui la solidarité que les rivalités féminines, que dépeint Arcan.

En février, la revue Voix et Images consacrera un numéro à l’héritage de Nelly Arcan. Catherine Parent y a participé, avec l’autrice, professeure et traductrice , décédée il y a quelques semaines. « Il n’y aura pas de texte posthume de Lori. Nous avons signé l’introduction à quatre mains », précise Catherine Parent.

Déjà, en 2012, Lori Saint-Martin faisait cette analyse troublante de la réception de l’oeuvre de Nelly Arcan dans Voix et Images.

« Triste pensée, elle a dû mourir pour qu’on oublie la femme belle mais trop artificielle qui ne nous arrangeait pas et qu’on porte enfin attention à ses livres ; elle a dû éteindre la lumière noire qu’il y avait en elle pour ne pas faire de l’ombre à son oeuvre, écrivait alors Lori Saint-Martin. Vivante, elle dérangeait trop, comme une personne trop belle ou trop laide ou trop nue ; le miroir du féminin qu’elle nous tendait grossissait le trait jusqu’à l’insoutenable, on avait peur que ce soit contagieux. Morte, elle inspire la compassion et le respect que beaucoup lui ont refusés tant qu’elle a été là comme une trouble-fête, tant que son corps a fait écran entre nous et ses mots. Elle fascine les jeunes universitaires, inspire colloques, articles, mémoires, et c’est bien ainsi. Toutes les burqas enchaînent, autant le voile noir que la plaie vive. »

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