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La frontière entre les genres littéraires s’effrite de plus en plus. Bien sûr, des amalgames ont toujours existé, mais ceux d’aujourd’hui prennent davantage leurs aises. Les polars n’échappent pas à la tendance. Ici se faufile une pointe d’autofiction, là, un zeste de politique ou l’ombre d’un éclair de magie. Si tous les romans policiers ont au moins en commun un meurtre, une disparition ou une enquête, toutes les avenues sont ouvertes, et c’est heureux. La littérature est libre, n’en déplaise à ceux et celles qui veulent la faire taire. Délectons-nous de ses possibles.
À surveiller
Le secret des secrets
Dan Brown (trad. Dominique Defert et Carole Delporte) (JC Lattès)
Le plus récent roman de Dan Brown promet, une fois de plus, un moment de lecture frénétique. À nouveau, on suit avec plaisir le professeur Robert Langdon, en visite à Prague pour la conférence de son amie. Celle-ci s’apprête à publier un essai révolutionnaire sur la conscience humaine. Lorsqu’elle est enlevée avec son manuscrit, Langdon apparaît dans la mire d’une organisation mondiale ainsi que d’une créature mythique. Arcanes insolites, énigmes à résoudre, organisations tentaculaires à déjouer, course contre la montre et fuite pour échapper aux malfrats, les péripéties de Robert Langdon sont aussi incroyables que palpitantes. En librairie le 8 septembre
Passages
Alex Landragin (trad. Caroline Nicolas) (Alto)
Curieux objet que ce livre qui peut se lire de deux façons, soit de la manière classique ou bien selon l’ordre de la Baronne. La Baronne? C’est elle qui a confié à l’auteur ce manuscrit, afin qu’il le relie selon un ordre précis. Mais voilà, elle est assassinée, et son livre, que voici, est maintenant entre vos mains. Roman baroque, inusité, qui nous fait voyager d’une époque à l’autre, de l’incarnation d’un personnage à une autre, Passages se savoure sans que l’on sache où cette aventure va nous mener, mythifiant nos présomptions, se jouant de nos soupçons, avec un style rafraîchissant et génial. Une fresque passionnante et originale.
Je n’ai personne à qui dire que j’ai peur
Véronique Marcotte (Québec Amérique)
Entremêlant le polar et l’autofiction, Véronique Marcotte nous amène dans la cabane où elle se planque pour endiguer ses mauvaises habitudes et, surtout, pour écrire. Mais une mère et son fils se réfugient chez elle, et lorsque la mère disparaît, elle est bien obligée de s’occuper du gamin. En parallèle, les corps de deux hommes sont découverts. Les gens du village ne disent pas tout et le dossier stagne. Alors que l’autrice cherche à s’affranchir du souvenir des hommes qui ont abusé d’elle, sa route vers la rédemption croise celle de la mère, libérant sa parole comme ses blessures. Un roman intime, salvateur. En librairie le 8 septembre
Là où on enterre les bêtes
G.R. Roussel (Fides)
Dillon Dixon est la seule femme noire à cent lieues à la ronde, détective qui plus est. Avec son intelligence hors norme et son caractère coloré, elle ne se fait pas d’illusions sur la nature humaine. Et pourtant, lorsque plusieurs meurtres sordides surviennent, elle ne parvient pas à dénicher le coupable. Ce n’est que lorsqu’elle sera confrontée à ses failles que la détective découvrira la vérité. Se déroulant dans un petit bled des États-Unis où l’inclusion est un concept vague, ce polar, certes cynique, est aussi truffé d’un humour fin et de moments de pure bienveillance. Puisse G.R. Roussel nous revenir avec un autre canevas truculent! En librairie le 24 septembre
Une nuit d’été à Littlebrook
Maureen Martineau (Héliotrope)
Aude, une jeune femme qui gagne sa vie en créant des vêtements de mode, décide de retourner dans son village natal, après vingt ans d’absence. L’ayant quitté subitement, elle ignore comment son retour sera interprété par son ami d’enfance. Elle ne s’y pointe pas innocemment. Elle prépare sa riposte, longuement mûrie. Le village est en proie à une guerre de l’eau et elle ajoute à son insu son grain de sel dans un concours de circonstances qui ne peut que finir en catastrophe. Si la campagne est belle et bucolique, ses dessous cachent parfois de terribles réalités. Aude parviendra-t-elle à assouvir sa vengeance?
De vrais mystères non résolus
Si ces prochains titres ne sont pas des polars, ils peuvent tout autant nous plonger dans un état de stress et d’anticipation! L’engouement pour les true crimes, les cold cases et le monde interlope, qu’ils soient présentés en balados ou en émissions, ne s’essouffle pas, loin de là. L’ouvrage La filière Allo Police : Les vedettes du crime au Québec (L’Homme) nous ramène à l’époque de ce journal qui s’est imposé durant une cinquantaine d’années grâce aux faits divers. Le trio d’auteurs, Karine Perron, Annie Richard et Jean-Philippe Rousseau, extirpe des archives les histoires des criminels les plus extraordinaires, sur lesquelles il jette un regard neuf. On se remémorera notamment Jacques Mesrine, Monica la mitraille et Victor Lévesque. Nul doute que ces figures raviveront des souvenirs! Saluons la parution du deuxième opus de Captives (Fides), d’Annie Laurin et Michèle Ouellette, inspiré du balado du même nom. Avec ces douze histoires inédites, les autrices abordent des crimes et disparitions, qu’ils soient conclus ou non, en soulignant les ratés du système juridique, le tout avec respect et tact. Dans Dossiers criminels : Tueuses en série (Saint-Jean), les auteurs, Leo Moynihan et Sam Pilger, rassemblent les cas de vingt-sept des plus grandes criminelles qui ont marqué les esprits, dont la Canadienne Karla Homolka. Rappels des événements, mises en contextes et anecdotes jonchent ce sordide répertoire.
Des enquêteurs chevronnésLorsqu’une ado de 13 ans est trouvée morte, l’enquêtrice Linda Toivonen s’aperçoit vite qu’elle discutait en ligne avec un certain Peter Pan, un homme visiblement plus âgé. D’autres disparitions sont possiblement liées à cette affaire, et Linda est forcée de faire face à ses propres démons. La honte (La Martinière), quatrième livre du Finlandais Arttu Tuominen, expose les dérives de notre société hyper connectée. Dans Parler aux morts (Saint-Jean), Anna Jansson remet en scène le bougon inspecteur Bark, aux prises avec une sombre tribulation qui concerne les restes d’une enfant, repérés dans une caverne par une femme se prétendant voyante, qui disparaît elle aussi. Un suspense haletant, aux accents de trahison et de manipulation. Viveca Sten, dont les romans ont inspiré la série Meurtres à Åre, imagine le pire au cœur de ce paysage hivernal grandiose dans Pistes noires (Albin Michel). La dépouille d’une jeune fille est retrouvée le lendemain d’une fête en montagne. Interrogés par les inspecteurs Hanna Ahlander et Daniel Lindskog, les jeunes hommes présents ont tous l’air de cacher quelque chose. Des barrières glaçantes que devront percer les inspecteurs, malgré les embûches.
Méfiance, disparitions et énigmes
Dans Fatal (Libre Expression), Johanne Seymour offre un thriller romantique où plane l’ombre d’une ancienne relation toxique. Camille, quarantenaire célibataire, en a marre des rendez-vous sans saveur fixés via les applications. Au moment où elle décide de lâcher prise, elle rencontre un homme. Alors que s’instaure un début de relation, elle se sent suivie, épiée, et son passé semble refaire surface. Un roman profondément actuel, par l’une de nos autrices les plus établies. Oscillant entre thriller psychologique et roman noir, le tout teinté d’un brin de réalisme magique, le nouveau roman de Rosalie Demers, Sous les eaux (Tête première), étonne par sa prémisse. En deuil de son frère, Rachelle noie son chagrin dans l’alcool et en enfilant les relations sans lendemain. Lorsqu’elle constate la mort de son amant d’un soir, elle le touche et est saisie d’une secousse la propulsant dans les quelques heures précédant son décès… et elle y voit son frère. Dès lors, elle sera prise d’une envie furieuse d’apprendre ce qui a mené au décès de ce dernier et sera à l’affût des morts tout frais. Mais chaque passage de l’autre côté lui arrache un peu de son humanité. Elle devra bien vite choisir entre sa soif de vérité et le ressentiment qui l’habite. Avec L’avez-vous vue? (Goélette), Catherine McKenzie remue le passé de cette jeune femme, Cassie, revenue vivre et travailler au sein de l’équipe de recherche et de sauvetage du parc national de Yosemite. Si elle retrouve ses repères, les réminiscences d’une affaire non résolue reviennent bien vite la hanter. Dans La fleuriste (Mera), d’Alicja Sinicka, c’est à une soudaine disparition que nous sommes confrontés. Sonia, collègue et amie de celle qui s’est curieusement volatilisée, s’efforce activement à la retracer. Mais plus le temps passe, plus l’obscurité s’épaissit, et Sonia se met à douter de l’image que son amie projetait. Un roman aussi intrigant qu’impossible à lâcher.
Huis clos étouffantJournalistes et influenceurs sont invités sur une île où un hôtel de luxe est installé. Dans Le lagon (L’Archipel), Catherine Cooper alimente habilement la tension et la méfiance. Lorsqu’un corps est découvert, le paradis perd de ses attraits, et l’espoir d’un séjour parfait s’estompe rapidement. La loi du talion anime Anna dans Vengeance express (Verso), de Riley Sager, alors qu’elle invite les six personnes responsables d’un drame survenu des années plus tôt. Le but? Les pousser à avouer leurs méfaits afin que justice soit faite… mais, lorsque l’un d’eux perd la vie, elle se rend compte qu’elle n’est pas la seule à réclamer sa revanche. Si ce n’est pas un huis clos à proprement parler, La majordome (Saint-Jean), de Samantha Hayes, en a tous les effets. C’est dans la tête de cette femme, au service d’une autre dans une grande résidence, que nous plongeons littéralement. Elle tisse sa toile, s’insinue dans la vie de sa patronne, cherche à usurper sa présence et abuse de sa confiance. Insidieux et inquiétant, ce texte n’est pas sans rappeler La femme de ménage, de Freida McFadden (City).
Polars politiques et historiquesÀ tout prix (Tête première), de Marc Ménard, n’est pas tout à fait un polar, mais sa noirceur s’y prête. Dans le Montréal de la fin des années 1930, où la classe ouvrière s’agite et essaie de se faire entendre, où les femmes se mobilisent afin de prendre part à la société, Stanislas, secoué par la mort de son maître à penser et la réapparition d’un ennemi dans les parages, prend des chemins qu’il n’avait pas prévu emprunter. Reste à savoir s’il saura tempérer son caractère pour ne pas s’empêtrer davantage. Jonathan Coe propose un roman aux multiples facettes avec Les preuves de mon innocence (Gallimard). Entre un complot visant à faire virer le gouvernement britannique vers la droite radicale et un meurtre survenu lors d’une conférence obscure, l’auteur glisse entre passé et présent, et mêle les lignes. C’est dans un tout autre registre que le roman Les manuscrits perdus (Le Cherche midi), de Steve Berry et Grant Blackwood, nous entraîne. Luke Daniels, envoyé en Russie par la CIA pour débusquer la vérité sur un agent disparu, tombe sur la piste de la fabuleuse bibliothèque d’Ivan le Terrible, évaporée au moment de sa mort.
Polars teintés d’actualitéGuillaume Morrissette fournit dans Mises en scène (Saint-Jean) une autre occasion d’apprécier l’enquêteur Héroux et ses collègues. Alors que des cadavres sont aperçus dans d’étranges circonstances ici et là dans la ville, des personnes sont filmées à leur insu, et les vidéos sont vues sur les réseaux sociaux. Comment relier ces différents fils? Dans Sous pression (Fleuve), de Peter James, un avocat est assis sur le banc des accusés pour trafic de drogues. Déterminé à ne pas écoper, il tente d’influencer les membres du jury, mais c’est sans compter sur la ténacité de l’inspecteur Roy Grace pour l’en empêcher! Mikaël Archambault donne encore à lire bien des rebondissements avec l’arnaqueuse professionnelle Ana Blanc, dans L’ombre aux mille visages (De Mortagne). Cette dernière se voit obligée par la pègre montréalaise de mettre la main sur un homme qui tue sans vergogne ses collègues, dans le but avoué de s’emparer de sa part du marché interlope.
Univers SF et dystopies
L’écrivaine au long cours Élisabeth Vonarburg organise des ateliers afin de partager son expérience aux auteurs et autrices de la relève en littératures de l’imaginaire. L’un des exercices consiste à écrire une histoire à partir d’un même texte qu’elle leur soumet. À eux et elles de s’en inspirer. C’est le résultat d’un de ces ateliers d’écriture que publie Alire, avec Vols en dérive. L’occasion, donc, de connaître des voix dont les huit textes ne se ressemblent pas, mais qui ont pourtant la même prémisse. Waubgeshig Rice nous invite dans un monde dévasté, alors que, poussés par l’éventuel manque de ressources, quelques membres d’une communauté anishinaabek partent dénicher des terres ancestrales qui pourraient tous les accueillir. La lune des feuilles rouges (Prise de parole) nous entraîne dans cette quête des origines et des racines, où l’on croise au gré de la route le pire comme le meilleur de l’humanité. Après Chien 51, Laurent Gaudé aiguise son regard lucide sur les possibles travers de notre société avec Zem (Actes Sud/Leméac), dans lequel les pays appartiennent à des mégaentreprises et où les riches ont accès à un environnement dénué de pollution, alors que les pauvres se terrent pour se protéger des pluies acides. Il remet en scène ce fin limier désabusé, Zem Sparak, qui travaille désormais comme garde du corps et découvre des morts suspectes lors de la livraison d’une cargaison d’eau.
L’horreur qui nous tient à la gorge, la fantasy qui élargit notre horizon
Quatre titres parus chez Alire oscillent entre l’horreur et la fantasy… à vous de choisir le genre qui vous plaît! Philippe-Aubert Côté souhaitait faire se côtoyer deux communautés méconnues dans Puppy-play, soit celle — on l’aura compris — de ces personnes qui se déguisent en chiens et celle des queers. Ici l’horreur se manifeste autant dans le retour de l’ex toxique de Cooky Pup que dans les apparitions de créatures effrayantes après qu’il s’est évanoui lors de la parade de la Fierté. Un univers angoissant vécu par des protagonistes différents. Avec Froid, Drew Hayden Taylor triture le destin de trois personnages qui ne se connaissent pas en les liant d’une manière troublante à un tueur en série particulièrement morbide. Le climat anormal et inquiétant ajoute à l’opacité, terrifiante. Jonathan Reynolds devient lui-même un personnage dans Luna, où une lectrice lui signale la présence d’une coquille qui s’avère se répéter dans chacun de ses livres. Or, il n’a aucun souvenir d’avoir écrit ces pages. Dans cette mise en abyme, l’auteur se plaît à mélanger le réel et l’imaginaire, créant une tension palpable et fort efficace. Raphaëlle B. Adam et Ariane Gélinas unissent leurs plumes dans Vespérale, une novella qui s’attarde aux circonstances d’une rupture amicale. C’est au sommet d’une montagne que Charles mettra fin à cette relation toxique avec Vianne, mais ce ne sera sans doute pas si simple!
Des classiques revisitésAlors que la collection « Les contes interdits » a séduit de nombreux lecteurs pendant des années, les éditions ADA créent cet automne une nouvelle mouture avec « Les classiques interdits ». La même brigade d’auteurs et d’autrices revisite les textes classiques en ajoutant évidemment une touche fantastique et un tantinet d’horreur. Chacun des titres bénéficiera également d’un soin particulier à son apparence, soit avec une couverture rigide, une jaquette illustrée et un jaspage. Les férus du genre seront donc ravis de lire de nouvelles versions de Frankenstein, de Simon Rousseau, Orgueil et préjugés, de Josée Marcotte, Vingt mille lieues sous les mers, de Dominic Bellavance, et du Fantôme de l’opéra, de L.P. Sicard.