Les vingt-cinq premières pages de Vallée furieuse de Brian Panowich mettent en scène un homme traqué de l’intérieur et furieusement paranoïaque qui attend sa valise devant un carrousel d’aéroport. Le personnage — qui sera charcuté un peu plus tard, mais là n’est pas la question —, son mal-être général et la tension qu’il génère rendent la lecture presque insupportable, sachez-le. Mais si vous avez la patience de continuer, vous découvrirez, sous ses allures gore, une très solide enquête mettant en relief quelques-uns des travers les plus horripilants de nos voisins du Sud.
Du Sud profond, faut-il préciser, puisque cette histoire tordue d’une violence parfois inouïe se déroule surtout en Géorgie, au pied des Blue Ridge Mountains. Et sous ces allures de conte machiste — un élevage clandestin de coqs de combat est au centre de l’intrigue —, on découvrira d’abord une très touchante histoire d’amour et de deuil non assouvi.
Tout ici tourne autour d’un personnage attachant, Dane Kirby, enquêteur du Georgia Bureau of Investigation. Il vient de se voir jumelé à une équipe du FBI chargée d’élucider une série de meurtres violents commis à l’aide d’une arme philippine : un bâton de Kali. L’enquête est fascinante, imprévisible, sanglante souvent, mais elle nous permet d’abord de connaître Kirby et de saisir la riche complexité de cet homme malgré le bruit et la fureur qui l’entourent. C’est un personnage dont vous aurez beaucoup de difficulté à oublier la franchise et la douleur contenue.
Il y a bien quelques bouts de ficelles qui traînent dans cette histoire qui tourne parfois les coins un peu ronds, mais l’écriture vibrante de Brian Panowich — il en est à son troisième livre en français — est fort bien rendue par la traduction qui parvient à faire résonner la corde sensible qui somnole en chacun de nous. Voilà une belle occasion de découvrir une nouvelle voix percutante.
Froid comme l’Islande en hiver
Après la trilogie de La dame de Reykjavik et les six enquêtes d’Ari Thor à Siglufjördur, nous en sommes déjà, avec Dix âmes, pas plus, au dixième livre de Ragnar Jónasson en français depuis 2016 : cet homme, enfin traduit directement de l’islandais, est devenu une machine à succès.
Cette fois-ci, nous sommes vraiment au bout du monde, à l’extrémité nord-ouest de l’Islande, dans le minuscule hameau de Skalar ; Una y vient s’occuper des deux écolières de ce coin perdu. L’institutrice ne met pas beaucoup de temps à saisir que la petite communauté croule sous le poids des non-dits et des secrets et, bien vite, elle se sent rejetée par un peu tout le monde. Cela devient encore plus évident quand l’hiver s’installe et que tout se fait noir et glacial autour d’elle.
Una désespère chaque jour un peu plus en se demandant ce qu’elle fait là ; elle se met même à picoler sérieusement et à croire aux fantômes… Et voilà que les choses prennent un tournant tragique avec la mort d’une des deux fillettes dont elle a la charge. Puis, lorsqu’un étrange visiteur se pointe à Skalar pour la nuit, comme si ça allait de soi, et que personne ne le reconnaît plus quand sa photo paraît dans le journal, la pauvre Una se sentira trahie… jusqu’à ce qu’on l’admette enfin au cœur du secret.
L’écriture ici sinueuse et patiente de Jónasson rend le drame crédible en nous permettant d’assister à la déconstruction graduelle d’Una, puis à son soudain retour à la vie. La traduction rend fort bien ce climat obsédant qui caractérise la vie du petit hameau perdu.
Une de trop
Il y a déjà trois ou quatre ans qu’on n’avait pas revu le commissaire Van In, de Bruges. Après avoir lu Alibi, de Pieter Aspe, on ne s’en plaindra finalement pas trop. Pas parce qu’il prend lui aussi du ventre en vieillissant ou que ce qu’il lui reste de muscle s’est passablement délité sous les tonnes de bière qu’il continue d’avaler. Non. Plutôt parce qu’il devient avec le temps une très pâle imitation de San-Antonio.
Pourtant, cette histoire démarre sur les chapeaux de roue : près de la scène d’un tournage, à Bruges, on découvre une carcasse d’auto brûlée et un corps à l’intérieur, que l’on identifie assez rapidement grâce à ses empreintes dentaires. Puis, l’action se transporte à Anvers, où les cadavres continueront de s’accumuler. Des « bruits de fond » en périphérie — chantages, arnaque informatique, violences diverses — prendront de plus en plus d’ampleur, jusqu’à fournir la solution de l’énigme.
Sous prétexte de couleur locale et d’humour, cette vingtième enquête de Van In croule sous les tics d’écriture, les blagues sexistes de mononcle et les préjugés. Une de trop.
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