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L’acte de fumer sur scène : la saga judiciaire se poursuit

 

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Le procureur général a fait appel lundi au palais de justice de de la décision de la Cour supérieure qui a autorisé l’acte de fumer une cigarette au théâtre.

L’histoire remonte à 2017, alors que les théâtres du Trident, La Bordée et Premier acte ont été, successivement, mis à l’amende pour avoir laissé des comédiens fumer une cigarette de sauge sur scène.

Chaque établissement théâtral a fait l’objet d’une inspection, laquelle a mené à l’émission d’un constat d’infraction de 500 $ pour non-conformité à la Loi concernant la lutte contre le tabagisme.

La devanture du théâtre La Bordée.

Le théâtre la Bordée fait partie des trois théâtres de Québec qui contestent l’interdiction de l’acte de fumer sur scène. (Photo d’archives)

Photo : / -André Turgeon

Avec l’appui du milieu culturel, les théâtres sanctionnés ont intenté des démarches pour contester leurs amendes au nom de la liberté artistique. L’argument principal est que l’interdiction totale de fumer sur scène, même dans un contexte de performance artistique, porte atteinte à la liberté d’expression, un droit fondamental protégé par la Charte des droits et libertés de la personne.

En 2021, les théâtres ont été déboutés. La Cour du Québec a statué qu’utiliser une cigarette sur scène dans un contexte théâtral n’était pas considéré comme une expression artistique. Le jugement a alors été porté en appel.

En mai 2024, la Cour supérieure du Québec a tranché en faveur des théâtres : interdire l’action de fumer une cigarette sur scène dans un contexte artistique est une violation injustifiée de la liberté d’expression, concluait le juge -François Émond.

Le Grand Théâtre de Québec photographié de jour au printemps.

La majorité des productions du théâtre du Trident sont présentées dans la salle Octave-Crémazie du Grand Théâtre de Québec. (Photo d’archives)

Photo : Radio-Canada / -Simon Lapointe

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Le procureur général du Québec a décidé de faire appel de cette décision. Plusieurs représentants du milieu artistique québécois étaient d’ailleurs présents à l’audience de lundi.

Je pense que l’enjeu qui reste important, c’est un peu les fondements, explique Jean-Michel Girouard, vice-président de la section Québec de l’Union des artistes (UDA). On questionne à restreindre une portion de la liberté artistique qui est au cœur de la liberté d’expression, soutient-il. 

Pour moi, c’est là où il faut, comme société, comme gouvernement, que tous les intervenants prennent cette question-là de façon extrêmement délicate parce que c’est toujours la crainte que plus on ouvre une petite porte, plus on restreigne la liberté artistique.

Une citation de Jean-Michel Girouard, vice-président de la section Québec de l’UDA
Portrait de Jean-Michel Girouard

La comédien et vice-président, section Québec de l’Union des artistes, Jean-Michel Girouard

Photo : Gracieuseté Premier acte

Le comédien, et représentant de l’UDA, redoute que l’interdiction de l’acte de fumer dans une représentation théâtrale crée une brèche dans les fondements de la liberté d’expression artistique. Est-ce que si on ouvre la porte à ça, est-ce qu’après ce sera la musique trop forte, les sons trop forts ou les effets visuels pour les yeux? questionne-t-il.

C’est une question de santé publique [la cigarette], mais la santé psychologique, qui est de plus en plus importante […] ce qui est très bien, mais est-ce qu’on pourrait arriver ensuite, pour des questions de santé psychologique, à restreindre des sujets sur scène? se demande-t-il.

Ça fait déjà plus de huit ans qu’on est dans cette saga, rappelle pour sa part l’avocat et professeur à la Faculté de droit de l’Université Laval, Jean-Philippe Lampron.

Avec les avocats Antoine Pellerin, de l’Université Laval, et Benjamin Bolduc, de Bois avocats, Louis-Philippe Lampron a constaté qu’il n’y avait pas d’exception artistique qui était expressément aménagée dans la loi.

La Loi sur la protection des non-fumeurs dans certains lieux publics, qui fut adoptée en 1986 au Québec, n’avait jamais posé problème aux théâtres jusqu’à la première plainte, en 2017. Manifestement, jusque-là, ça semblait avoir été toléré, lance Maître Lampron.

Ce qu’on a constaté, c’est qu’effectivement, les lieux artistiques sont visés dans les lois depuis 1985, dans les différentes versions de la loi. Mais de toute évidence, ça visait les spectateurs, explique l’avocat. En fait, ça visait à empêcher les spectateurs de fumer pendant une représentation. Puis à notre connaissance, pour les théâtres impliqués, il n’y a pas eu de sanction semblable auparavant. Ce qui révèle deux choses; que ce n’était sans doute pas l’intention du législateur d’empêcher les interprètes de fumer sur scène. C’est une question d’interprétation très large.

Portrait de trois hommes et une femme.

Les avocats Jean-Philippe Lampron, Benjamin Bolduc et Antoine Pellerin avec Julie Desrosiers, une professeure de droit à l’Université Laval (au centre).

Photo : Gracieuseté Jean-Philippe Lampron

Là, on est dans une situation où ces choix-là, artistiques, sont remis en cause par une interprétation à la fois littérale et mur à mur d’une interdiction qui, pour nous, avait vocation à viser les fumeurs et non pas la représentation de l’acte de fumer, en particulier pas quand on est dans le contexte d’une représentation théâtrale ou artistique.

Une citation de Jean-Philippe Lampron, avocat et professeur à la Faculté de droit de l’Université Laval

Les avocats de la défense estiment que le législateur a le pouvoir de régler promptement cette affaire et d’y mettre fin. Le législateur pourrait régler le dossier en disant : « Écoutez, on a lu la décision de la Cour supérieure, on est en faveur de l’intégration d’une exception artistique et donc on va changer la loi. » Et ce faisant, la cause deviendrait sans objet, explique Jean-Philippe Lampron. Le silence du législateur fait en sorte qu’on continue à appliquer et devoir appliquer cette interdiction mur à mur au théâtre..

Alors, où tracer la ligne? La question a été posée par la juge Lavallée, l’une des trois juges à sié lundi matin. On est d’accord. Il y a plein d’enjeux, explique Jean-Philippe Lampron à Radio-Canada. Il soutient que la réflexion doit être faite, concernant des comédiens qui refuseraient de fumer, par exemple. Mais le débat au cœur du procès c’est le rapport entre les créateurs et le public, explique-t-il.

C’est pour ça que, dès le début de cette saga judiciaire-là, les théâtres ont affirmé leur posture selon laquelle ce serait tout à fait raisonnable, ça réglerait beaucoup le dossier que d’accompagner l’exception artistique de l’obligation d’aviser le public de ce qui sera fumé ou pas sur scène, dit-il.

La Cour d’appel du Québec a six mois pour rendre son verdict.

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