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L’amie de mon père | Moira-Uashteskun Bacon a dit oui à l’amour de sa vie

Paru en premier sur (source): journal La Presse

Moira-Uashteskun Bacon a failli consacrer sa vie au droit, mais a plutôt opté pour son « plus grand amour », la littérature. À l’occasion de la parution de son deuxième roman, L’amie de mon , l’autrice innue raconte le long détour qu’elle a emprunté avant de revenir à elle-même.


Publié à 12 h 00

Moira-Uashteskun Bacon venait de finir ses études en droit, mais quelque chose à l’intérieur d’elle-même lui intimait qu’elle passait à côté de sa vie. Impérieuse intuition. « J’étais allée vers le droit plutôt que la littérature à cause du fameux “Écrire des livres, ça ne mettra pas de la bouffe dans ton assiette, tu as des bonnes notes, il faudrait que t’en fasses quelque chose.” Mais ma relation avec l’écriture, ç’a toujours été mon plus grand amour. »

Plutôt que de s’inscrire au Barreau, celle qui est aujourd’hui âgée de 26 ans s’est donc accordé quelques mois de pause, le temps d’un certificat en création littéraire. « Et c’est devenu très clair que je ne pouvais pas quitter quelque chose d’aussi important que les mots. »

En 2023, elle lançait Envole-toi, Mikun, un premier roman inspiré de sa propre vie de jeune Innue, qui a vécu jusqu’à ses 12 ans dans la communauté de Mashteuiatsh au Lac-Saint-, avant de déménager au Saguenay.

« Ç’a quand même été un choc, se souvient-elle. J’ai grandi dans un environnement où j’avais tenu pour acquis que ce que j’étais, c’était ça, la normalité. » Assise dans un café au décor bigarré de la Petite-Patrie, Moira-Uashteskun dessine avec ses doigts des guillemets dans les airs autour du mot normalité. « Et là, je me retrouvais dans un endroit où on me disait que l’environnement dans lequel j’avais grandi n’était pas du tout normal. »

En quittant sa communauté, elle aura longtemps été habitée par un « désir de tout rejeter », de gommer sa propre autochtonie, de se fondre à la majorité. Passer incognito, à tout . La colère et la confusion de ses narratrices envers leur culture ont aussi été les siennes.

« Mais aujourd’hui, ce sentiment de révolte, je l’ai redirigé, précise-t-elle doucement. Je suis fâchée contre tout un système, toute une société, vers tous ces facteurs externes qui m’ont fait me sentir comme ça par rapport à ce que je suis. »

Combler un vide

Si son œuvre appartient à ce qu’on appelle la littérature young adult, les romans de Moira-Uashteskun Bacon ne s’adressent pas qu’à un public . Et, bien sûr, pas qu’à un lectorat autochtone.

« Il y a quand même un vide en librairie, au , pour les jeunes  », observe celle qui gagne sa vie en donnant des ateliers de littérature à des enfants du primaire et dont le premier livre a été finaliste au Prix Espiègle 2024 et nommé pour les Prix Voix autochtones 2024.

Au secondaire, elle a elle-même vécu ce qu’elle appelle « du racisme sournois, implicite » enraciné dans plusieurs idées absurdes, comme celles que les membres des Premiers Peuples traînent sur eux des couteaux. Elle s’esclaffe. « Aujourd’hui, je préfère en rire. »

J’aurais peut-être mieux su comment dealer avec ça si j’avais pu lire un livre comme les miens. Mais bon, les questionnements identitaires de mes personnages, c’est aussi quelque chose auquel tous les ados peuvent s’identifier.

Moira-Uashteskun Bacon

Désapprendre le désamour

Dans L’amie de mon père, son nouveau roman, Moira-Uashteskun Bacon raconte l’histoire d’une autre adolescente, Maria, chez qui le taiseux de paternel se pointe un jour afin qu’elle passer l’été avec lui, dans la communauté fictive de Pimitshuan. Grâce à un ressort narratif emprunté à la littérature , elle pourra apprendre à connaître l’adolescent qu’a été son père. Et, par le fait même, mieux le comprendre.

« Le modèle de père qui est dans le roman, c’est ce que mes sœurs et moi, on appelle le “papa native” », explique l’autrice en riant. « C’est le père qui a de la misère à communiquer ses émotions, son affection, qui va le montrer d’une façon plus indirecte. »

En approfondissant ses recherches sur la place du père dans la culture autochtone, Moira-Uashteskun a bien dû se rendre à l’évidence que de nombreux traumas collectifs irriguent ce silence, même chez ceux qui sont trop jeunes pour avoir fréquenté les pensionnats.

« Ce qui a été vécu dans les pensionnats a fait beaucoup de victimes, et continue d’en faire, d’une certaine manière. Les enfants qui y sont allés ont été forcés à se détester. Une fois devenus parents, comment pouvaient-ils aimer leurs enfants, s’ils ne connaissaient que le désamour ? »

Ce détachement-là par rapport à ses émotions, qui se transmet de génération en génération, il prend dans la colonisation.

Moira-Uashteskun Bacon

Ce constat lui aura « permis d’identifier une blessure » qu’elle soupçonnait en elle-même, mais dont elle ne connaissait pas les contours. Son processus de guérison a un temps passé par une volonté de se montrer en toute occasion « la bonne Indienne ». « Je me mettais la pression de dire les bonnes choses, d’être le plus innue possible. »

« Mais aujourd’hui, conclut-elle, être innue, ça fait partie intégrante de moi. Je suis innue dans ma manière d’être, je n’ai pas à me forcer. Ma définition d’être innue n’est peut-être pas la même que celle d’un autre, mais grâce à l’écriture, j’ai réussi à trouver un confort dans mon identité, dans qui je suis. »

L'amie de mon père

L’amie de mon père

Moira-Uashteskun Bacon

Éditions Hannenorak

168 pages

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Moira-Uashteskun Bacon L’amie de mon père



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