Laurence Florisca Rivard : Au cœur des frontières mouvantes

Laurence Florisca Rivard : Au cœur des frontières mouvantes

 

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Laurence Florisca Rivard : Au cœur des frontières mouvantes
Ses mots sont tombés dans l’œil de l’écrivain Kev Lambert dans un cours de création littéraire. Déjà, juste ça… Iel a voulu en lire plus. ancienne étudiante, Laurence Florisca Rivard a travaillé d’arrache-pied, ne ménageant pas ses exigences, sa grande rigueur et cette humilité qui la rend d’autant plus charmante. Accolé à son nom, ce qualificatif souvent galvaudé ne saurait être plus juste. Tout comme elle, Implosion révèle une aura peu commune, dotée d’une rare envergure pour un premier titre, un autre sur les lendemains du puissant mouvement #MoiAussi. La primo-romancière, elle, a emprunté un chemin de traverse en donnant une voix aux victimes collatérales d’une dénonciation.

Sébastien, étoile montante du tennis, a tout pour lui, y compris son amoureuse Clémence, son pote Charles et Katlyn, sa mère, qui le connaît mieux que personne. Du moins, c’est ce qu’elle pensait… C’est la psyché de ces trois personnages, présentés en alternance dans une chorégraphie réglée au quart de tour, que Laurence Florisca Rivard sonde sans ambages. Les certitudes ne sont jamais autant ébranlées qu’en coulisses, dans les décombres de l’opprobre alors qu’il faut poursuivre, malgré tout. Mais à quel prix? Difficile de ne pas reconnaître des fragments du réel, y déceler en filigrane quelques personnages qui ont fait les manchettes ces dernières années.

Née en 1997, celle qui a grandi à L’Île-aux-Chats, dans les Basses-Laurentides, avant de s’installer dans le quartier Villeray à Montréal, qu’elle habite toujours, avoue s’être inspirée de l’histoire d’un gars de son école secondaire visé par des allégations d’agressions sexuelles, de l’onde de choc chez les proches du type, notamment sa copine, qui est restée malgré tout. « Ça a piqué ma curiosité. Je pense que j’ai voulu comprendre cette fille-là, ce qui a pu la pousser à continuer à ses côtés », se souvient l’autrice, qui avoue avoir mis du temps avant de connaître ses protagonistes, avançant à tâtons dans leurs ambiguïtés. Arrière-petite-fille d’un immigrant italien — ses beaux traits ne mentent pas —, la nouvelle plume de la rentrée chez Héliotrope possède des yeux de braise qui cherchent le mot juste sous des apparences de force tranquille. Et le thème de son premier opus est délicat. Au rayon des scandales sexuels, l’actualité ne prend, hélas, jamais de repos et les prises de paroles ne se font pas sans soulever les passions. Même en fiction, le terrain peut devenir glissant.

Contorsion à trois voix
Dans ce texte polyphonique, c’est d’ailleurs la voix de l’amoureuse qui a été la plus ardue à apprivoiser. Laurence Florisca Rivard admet l’avoir tenue à distance au départ, la jugeant peut-être un peu. Puis, petit à petit, elle l’a approchée avec bienveillance, sans jamais la transformer en symbole. A contrario, le personnage de la mère a été le plus facile à aborder. « Même si je ne suis pas maman… J’ai beaucoup d’empathie pour elle parce que je pense que c’est facile dans les discours dominants de mettre la faute sur la mère. La part de responsabilité est tellement une zone grise… », explique la lectrice investie pour qui le roman de 2003 We Need to Talk About Kevin (Il faut qu’on parle de Kevin) de l’Américaine Lionel Shriver a entre autres été éclairant.

Au même titre que Shriver, elle a voulu appréhender les diverses perspectives sans porter de jugement. Une posture rare dans un contexte social encore polarisé sur tous ces aspects et enjeux de domination et d’abus. À l’image de ses lectures et recherches en amont, elle a voulu créer un espace de compréhension, pas de justification. Cultivant une distance morale, elle a mené des entretiens avec différents intervenants, comme des policiers et la directrice d’un centre de victimes et d’agresseurs, qui se sont avérés bénéfiques. Un youtubeur dénoncé dans la vague #MoiAussi s’est aussi ouvert à elle. « C’était important de lui faire un espace pour m’aider à saisir le fil des événements. Il y a des phrases qu’il m’a dites qui m’ont marquée et dont je me suis servie », ajoute-t-elle. Au-delà de tout, ce qui la guide et qui ressort de ses mots, c’est le désir d’explorer différentes avenues, d’ouvrir la discussion. « Ce ne serait pas sain de proposer une seule solution. On ne serait pas dans la reconsidération, mais dans la fixité », confie celle qui s’inscrit dans une filiation intellectuelle féministe, sans jamais plaquer de théories sur ses personnages. Dans un monde numérique qui érige souvent des murs, qui laisse les gens dans leurs chambres d’écho, elle cherche plutôt les passerelles, sûre que la création peut offrir cette voie, ce liant, entamer un dialogue et, peut-être, nous faire revoir nos propres schémas. Et elle y parvient, sans ton professoral, sans slogans.

Lire entre les lignes
Dès les premières pages, on entre plutôt dans une matière humaine dense, lucide, traversée d’interrogations difficiles certes, et pourtant si finement racontée qu’on y reste accroché, happé par un fil narratif qui laisse place à la réflexion intime qu’on entretient soi-même avec la problématique. Fort en objectivité donc, si le roman frappe par sa lucidité, il se lit en plus comme un thriller psychologique, où le suspense est intérieur. La tension, palpable, vient moins des actions que des questions — des microglissements de conscience. Des réponses ne sont jamais données. Ce qui nous reste, ce sont des émotions qui ne tombent pas dans le pathos, des registres et des silences perturbants perceptibles entre les lignes.

À 28 ans, celle qui enseigne la littérature au collégial depuis peu écrit déjà avec une justesse rare, une certaine maturité. Introvertie tout en étant tournée vers les autres, elle nourrit sa fiction en cultivant avec l’écriture un rapport anxieux, mais salvateur à travers des sujets dépourvus d’assurance qui la sortent de ses habitudes. « Le doute est le commencement de la sagesse », disait Aristote. À ce titre, il n’est pas étonnant que Laurence Florisca Rivard ait dans le regard cet éclat propre aux vieilles âmes. Ses écrits feront œuvre utile, c’est indéniable. Pas parce qu’ils prétendent réparer, ou panser, mais parce qu’ils tendent un miroir. Un miroir déformant, peut-être — la réalité n’est qu’une illusion façonnée par la perception de chacun —, mais toujours tendu dans une volonté d’écoute et de partage.

Photo : © Julia Marois

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