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Le 13e Festival du film Black de Toronto débute ce soir au théâtre Isabel Bader avec Fight Light a Girl, produit par l’ancien joueur des Raptors Serge Ibaka. La semaine dernière, le TIFF remettait pour la première fois un prix créé en hommage au réalisateur canadien Charles Officer, visant à soutenir le développement de cinéastes noirs. Qu’en est-il de la situation des personnes afro-descendantes dans l’industrie cinématographique ? État des lieux.
C’est sur qu’il y a davantage de films blacks qui se font maintenant qu’il y a 20 ans, mais la population afro-descendante a aussi fortement augmenté
, relève Fabienne Colas, directrice d’une fondation qui organise de nombreux festivals au Canada. Donc si on regarde, non pas les chiffres, mais la proportion de films blacks par rapport à l’augmentation de la population, on peut dire que les choses n’ont pas vraiment bougé
, ajoute-t-elle.

Fabienne Colas, directrice de la fondation qui porte son nom.
Photo : Attractions images / Yanick.Macdonald.Photographe
Ce constat pessimiste, Fabienne Colas le revendique d’autant plus qu’elle est aux premières loges pour assister à l’évolution de l’espace offert aux cinéastes afro-descendants. Selon elle, le principal problème est le modèle de financement. De nombreux programmes ont été créés suite à la pandémie et du mouvement Black Lives Matter, mais depuis, ils se sont asséchés
, pense la directrice de la fondation qui porte son nom.
À l’heure actuelle, il y a un manque drastique non pas de talent, mais d’opportunités pour les artistes afro-descendants
Il faut diversifier les comités de sélection
D’autres figures du milieu apportent un regard plus nuancé sur la situation. Cameron Bailey, le président-directeur général du TIFF a commencé à travailler pour l’organisation en 1990. À cette époque, c’était rare de voir des films réalisés par des cinéastes afro-descendants
, souligne-t-il, bien-sûr, il y avait déjà Clement Virgo, Stephen Williams et Charles Officer, mais il y a plus de monde aujourd’hui
, selon lui.

Le directeur artistique du TIFF, Cameron Bailey
Photo : La Presse canadienne / Nathan Denette
L’argent est le nerf de la guerre, si on veut faire des films qui peuvent aller loin, il faut les moyens de nos ambitions
, note Fabien Colas. Le problème viendrait selon elle de la façon dont les subventions sont attribuées par les institutions de soutien à la création. Les conseils des arts aux différents paliers de gouvernement forment des comités de pairs pour juger de la qualité des dossiers. Mme Colas pense que ces comités ne sont pas assez diversifiés et qu’ils n’ont pas les compétences pour juger de la valeur d’une histoire racontée par des personnes noires
.
Selon elle, on se retrouve avec des jury qui refusent des subventions sur des niaiseries, comme “Pourquoi tel personnage ne revient pas à la fin du scénario?” ou “Pourquoi la maman n’a pas dit ça?” En agissant ainsi, on décourage la relève!
. Elle ajoute qu’on devrait davantage donner sa chance au coureur, sinon après deux ou trois refus, les jeunes abandonnent
. Pour elle, l’une des solutions serait de diversifier les comités de sélection
.
Cette situation, la réalisatrice québécoise d’origine haïtienne Miryam Charles l’a vécu : en 2015, quand je présentais mes premiers projets, on me disait que le public ne pourrait pas s’identifier car mes personnages étaient tous afros
, regrette-elle.
Mais elle s’est accrochée et depuis, elle a vu la situation évoluer :
Maintenant je vois davantage de cinéma dans lequel je me reconnais .

La réalisatrice montréalaise Miryam Charles
Photo : Julie Artacho
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Vers quelles solutions ?
Des initiatives sont mises en place pour aider au développement des jeunes cinéastes afro-descendants. La Fondation Fabienne Colas a créé, en partenariat avec Netflix, la Banque Nationale et Téléfilm Canada, un programme appelé Être Noir.e au Canada
qui offre financement et mentorat pour des réalisateurs de court-métrages qui sont ensuite projetés dans les festivals organisés partout au pays. Mme Colas reste optimiste : Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir.
Pour participer au renouveau de la production, le TIFF a attribué pour la première fois cette année, avec l’aide de la CBC et de la famille de Charles Officer, un prix annuel de 25 000 $ visant à soutenir l’émergence du cinéma afro-descendant au Canada. La cinéaste Miryam Charles a été la première à en bénéficier.

Brother de Clement Virgo est sorti en 2023.
Photo : Entract Films
L’espoir vient aussi de la représentativité à la tête des institutions. Cameron Bailey incarne un souffle de renouveau depuis, qu’en 2021, il a pris seul la tête du TIFF, le plus grand festival de cinéma du Canada et parmi les plus importants au monde. Mon plan de carrière n’était pas de devenir un leader dans l’industrie
, plaisante M. Bailey, avant d’ajouter : Je dois beaucoup à Clement Virgo qui m’a encouragé, mais aussi le paysage a suffisamment évolué et il m’a permis d’accéder à la place que j’occupe
, pense celui dont la figure incarne désormais l’institution qu’il dirige.
Comme en 2023, le top 10 des films canadiens 2024 sélectionné par le TIFF a retenu deux productions où le personnage principal est afro-descendant. Il s’agit cette année de Vivre et laisser vivre : la voix de Jackie Shane et de 40 Acres.
D’autres regards et d’autres histoires
Un milieu plus ouvert et accueillant crée les conditions d’un environnement propice pour voir naître de nouvelles histoires dans les thèmes comme dans la façon de les raconter. Au printemps 2024, le festival Hot Docs accueillait le documentaire distribué par l’Office National du Film, Vivre et laisser vivre : La Voix de Jackie Shane. Jackie Shane était parmi les premières chanteuses noires transgenres à faire carrière en Amérique du Nord. Dans les années 1960, elle a quitté sa Nashville ville natale où planait le spectre des lois Jim Crow, et a trouvé refuge à Montréal puis à Toronto où elle a enregistré son seul disque, c’était à la Saphire Tavern sur la rue Yonge en 1967.
Je n’avais aucune idée que ma ville avait pu produire ce genre de musique à cette époque
… Le réalisateur Torontois Michael Mabbot est toujours sous le choc de la découverte de ce personnage totalement oublié jusqu’à la fin des années 2000, on a redécouvert Jackie Shane, mais combien d’histoire sont-elles encore cachées ?
, s’interroge-t-il.
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Jackie Shane en 1967.
Photo : Avec l’autorisation de Numero Uno
Alors que Jackie Shane est morte en 2019, pendant l’élaboration du film qui lui était consacré, Michael Mabbott a proposé à Lucah Rosenberg-Lee de co-réaliser le film avec lui. C’était important d’associer un artiste noir transgenre au projet
, pense Michael Mabbott. De son côté, M. Rosenberg-Lee y a vu l’occasion de montrer que les personnes trans afro-descendantes existent depuis bien longtemps
. Par ailleurs, bien que son histoire comporte des aspects particulièrement tristes, Lucah Rosenberg-Lee pense que la figure de Jackie Shane est forte, joyeuse et diffuse un sentiment de fierté
, permettant ainsi de sortir des représentations misérabilistes qui illustrent souvent les communautés historiquement marginalisées.
La force et la résilience sont aussi les principales caractéristiques des héros de 40 Acres, le premier long-métrage du réalisateur torontois R.T. Thorne. Dans ce premier long-métrage, on suit une famille dont la mère est afro-descendante et le père autochtone. La communauté vit isolée dans un monde post-apocalyptique où les ressources sont devenues rares.
La famille qu’on voit dans mon film est dans le genre qu’on ne voit jamais à l’écran
, pense le cinéaste. Dans 40 Acres, certaines scènes montrent des groupes d’hommes blancs qui partent à l’assaut de la ferme et se sentent légitimes de s’approprier les ressources de la famille. Un film dystopique qui a tout d’une allégorie et qui ne peut être racontée que par les personnes concernées, victimes d’injustices héritées de longue date.
Des personnes concernées qui apprécient d’avoir un peu plus de place sur les écrans canadiens, mais qui espèrent gagner davantage en reconnaissance dans les prochaines années.