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Vous racontez que, dans votre famille, la plupart des hommes ne savaient pas s’arrêter après le deuxième verre. Était-ce si répandu dans les années 1960, lorsque vous étiez enfant ?
Je ne suis ni sociologue, ni historien, ni médecin. J’ignore donc à quel point cette dépendance est répandue et comment elle évolue. Ce que je sais fort bien, par contre, c’est qu’elle semblait omniprésente pour l’enfant que j’étais : mon père, mes oncles, les hommes de ma rue, les joueurs de hockey, les vedettes de la télévision et jusqu’à mon personnage de bande dessinée préféré, tous les hommes paraissaient n’avoir d’autres buts dans la vie que de boire de l’alcool et de fumer comme des cheminées. Ça marque un enfant, surtout lorsqu’il voit ses héros tituber — quand ce n’est pas pire.
Le plus frustrant, quand on côtoie des alcooliques, c’est de les voir s’empoisonner, jour après jour, sans jamais pouvoir les aider.
À la fin du récit, vous abordez justement votre propre rapport à ce deuxième verre. Tenter de comprendre l’autre vous a-t-il permis de mieux vous comprendre ?
Bien sûr ! Écrire me permet souvent de saisir ce que je n’aurais pas pu saisir d’une autre façon. Mettre des mots sur les émotions et les coucher sur du papier me fait le plus grand bien. Tant mieux si ce petit livre peut procurer le même sentiment aux victimes de l’alcool — et je pense autant à ceux qui boivent qu’à ceux qui les regardent souffrir sans pouvoir leur venir en aide.
Vous publiez à un bon rythme. La discipline que cela nécessite nuit-elle à votre créativité ?
Je n’ai jamais considéré l’écriture comme un travail et encore moins comme une corvée. Chaque fois que j’entreprends un nouveau livre, que ce soit pour les adultes, les ados ou les enfants, j’ai l’impression de me lancer dans une aventure en compagnie de personnages que je n’aurais pas pu connaître autrement, de me faire vivre d’autres vies que la mienne. C’est tout aussi grisant que l’alcool, et beaucoup moins dangereux !
Vous avez également publié, en janvier dernier, l’album jeunesse Le trésor des Vikings avec l’illustratrice Geneviève Côté. Qu’appréciez-vous dans le travail de création en duo ?
J’ai toujours été nul en dessin et jaloux des illustrateurs. Leur travail relève pour moi de la magie, voire du miracle. Pour me consoler, je les invite à participer à mes histoires et je profite ainsi de leur talent. En prime, ça me venge un peu des cours de chimie que je suivais au secondaire et qui étaient si ennuyeux ; cette chimie-ci, j’en veux encore !
(Le deuxième verre, Druide, 160 p., et Le trésor des Vikings, Québec Amérique, 56 p.)
Cet article a été publié dans le numéro d’avril 2022 de L’actualité, sous le titre « François Gravel : (Se) raconter ».