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«Le Festival de Cannes ou Le temps perdu»: douze jours en mai

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En 1985, à 23 ans, débarque pour la première fois au Festival de Cannes, avec quelques amis qui rêvaient tous faire du cinéma. Ils se déplaçaient en scooter vêtus de smokings rafistolés, avaient de l’énergie à revendre, des audaces de pique-assiette et encore bien des illusions à perdre.

L’auteur du Ghetto intérieur, scénariste et réalisateur né à Buenos Aires en 1962, arrivé en à 11 ans avec sa famille, avait écrit un premier scénario et ne voulait faire du cinéma que dans « l’espoir absurde », avoue-t-il, de reconquérir la comédienne qui avait été son premier amour — voir Le premier amour et La première défaite (P.O.L, 2004 et 2012).

Pendant 40 ans, gravissant un à un « tous les degrés de la vaniteuse et dérisoire échelle sociale du cinéma », il est retourné à parce qu’il aimait vivre « cette vie sociale, mondaine, purement tournée vers les autres ». Tout le contraire de son quotidien des 353 autres jours de l’année, qu’il passe enfermé à gagner sa vie ou à écrire. « Je retournais à Cannes parce que, à l’égal de Patmos, j’y avais été plus heureux et plus malheureux que jamais », écrit-il dans Le Festival de Cannes ou Le temps perdu, premier chapitre de la cinquième partie d’une singulière autobiographie romanesque, « monstrueux projet littéraire » par lequel Santiago H. Amigorena a entrepris il y a 30 ans de conjurer le silence.

Cannes, il y allait pour voir des , rencontrer des producteurs, chercher du travail, oui, mais les « fêtes » cannoises exerçaient aussi leur magnétisme. Fêtes dans le Palais, dans des villas ou sur la plage, fêtes un peu pourries (« et parfois les plus réussies »), fêtes dans des chambres d’hôtel, sur des yachts ou dans des boîtes de nuit.

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Que reste-t-il de tout ce temps perdu, à jamais dépensé ? Dans ces pages à l’inspiration proustienne bien assumée — cette fois jusque dans le titre —, l’écrivain le transforme en littérature, teintée de nostalgie et d’indulgence. « Le désir de faire partie de ce festif du cinéma avait été à la hauteur, si je puis dire, de la désillusion d’en faire partie. » Les fêtes perdent de leur charme, les salles se vident, la foi dans le cinéma vacille. Tandis que derrière l’écran, nous assure-t-il, le vide est « le seul secret que cache la notoriété ». Cannes, alors, n’avait pas encore été avalée par « cette chose mystérieuse, vide et plate et dévorante et désolante à la fois, qu’est devenue notre seule métaphysique : l’économie ».

Un peu lyrique et gratte-bobo, friand comme à l’habitude de l’imparfait du subjonctif, l’écrivain pose dans ces confessions où « tout est vrai et faux à la fois » un regard rétrospectif et parfois douloureusement lucide sur le côté givré de sa — l’autre versant s’incarne dans l’île grecque de Patmos, dont il entend nous parler bientôt.

Et puisque le Festival de Cannes constitue en quelque sorte le cœur palpitant de la vie sentimentale de Santiago H. Amigorena, le résonne de réflexions sur l’amour — et sur l’absence d’amour. Il a fait là des rencontres déterminantes, il y a vécu des ruptures, il peut encore y croiser des actrices avec qui il a été en couple : Philippine Leroy-Beaulieu, Julie Gayet (mère de ses deux premiers enfants), Binoche.

Cannes, au fond, aura été le théâtre de toutes ses illusions.

Le Festival de Cannes ou Le temps perdu

★★★ 1/2

Santiago H. Amigorena, P.O.L, , 2025, 352 pages

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Santiago H. Amigorena Le Festival de Cannes ou Le temps perdu



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