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«Le pain perdu» et «Auschwitz, ville tranquille»: aller-retour vers l’enfer

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À 13 ans, en 1944, déportée avec toute sa famille vers Birkenau, Edith Bruck est devenue adulte d’un seul coup en montant dans un train.

Mais, contrairement aux quelques millions de femmes et d’hommes qui n’ont pas survécu aux exécutions sommaires, aux camps de concentration, aux chambres à gaz ou aux marches et aux travaux forcés, elle est encore en vie pour en témoigner.

À 89 ans, cette écrivaine et réalisatrice italienne, née dans une famille juive de Tiszabercel, dans le nord-est de la , non loin de la frontière ukrainienne, est sans doute l’un des derniers grands témoins de la Shoah. Dans Le pain perdu, un récit rapide et télescopé, elle raconte ce long aller-retour vers l’enfer.

Après un premier tri, elle sera rapidement transférée avec sa sœur aînée à Birkenau, un camp d’extermination « où l’on marchait sur les cendres ». Puis à Auschwitz et à Dachau, où elles auront à travailler dans la cuisine d’un château où séjournaient des officiers de l’armée nazie.

Impossible de paraphraser la brutalité de leurs conditions de détention : « La faim, le froid, les maladies nous décimaient, et celles qui dans leur sommeil mouraient contre nous, nous gelaient et nous attendions impatiemment qu’on les emporte loin de nous. » Les jeunes bourgeoises et les hommes, plus fragiles, avaient moins de défenses, raconte-t-elle, et « notre vie antérieure, par sa dureté même, nous avait avantagées et nous avions mieux résisté ».

Nouveau déplacement à Landsberg, puis à Bergen-Belsen, suivi d’une marche forcée interminable où les prisonniers devaient se « nourrir de déchets, d’épluchures avares de pommes de terre, de feuilles et de trognons de choux, d’écorce d’arbres ».

Après la libération des camps commence son « long et triste pèlerinage » ; les deux sœurs parviennent tant bien que mal à rejoindre Budapest. Si les camps ont représenté une expérience brutale et inimaginable, le retour à la vie « normale » ne se fait pas sans heurts. L’une des particularités du récit d’Edith Bruck est d’exposer sans fard les difficultés de la vie d’après — l’impossibilité même d’un retour.

Dans leur village, devant la petite maison familiale presque détruite, elles étaient devenues des ennemies aux yeux de ceux-là mêmes qui avaient probablement dénoncé leur famille. « Notre restant de vie n’était plus qu’un poids, alors que nous avions espéré un monde qui nous aurait attendues, qui se serait agenouillé devant nous. » C’était comme si le sol se dérobait une nouvelle fois sous ses pieds.

À 16 ans, elle part en rejoindre sa sœur, « où je m’attendais à trouver des cœurs et des bras ouverts et non pas armés », dira-t-elle. Après deux mariages aussi courts que malheureux et le refus catégorique de faire son service militaire, Edith Bruck se retrouve à Athènes, danseuse dans une troupe ambulante. Pendant une tournée, sa découverte de Naples marque son véritable retour à la vie : « Voilà, me disais-je, c’est mon pays. »

C’est ainsi en qu’elle va trouver des mots et une langue nouvelle pour dire l’impensable.

Dans la veine des grands récits autobiographiques de la Shoah et de la déportation, comme le sont ceux de Robert Antelme, d’Imre Kertész, de Charlotte Delbo ou de Jorge Semprun, Le pain perdu est un livre bouleversant.

Edith Bruck, consumée par le feu du devoir de vivre et de témoigner, conclut son récit par une déchirante « Lettre à Dieu », qui restera à jamais sans réponse. « Si j’ai survécu, ça doit avoir un sens, non? » À nous, lecteurs, de réagir.

Le pain perdu

★★★★
Edith Bruck, traduit de l’italien par René de Ceccatty, Sous-Sol, , 2022, 176 pages

Auschwitz, ville tranquille

★★★ 1/2
​Primo Levi, traduit de l’italien et préfacé par René de Ceccatty, Albin Michel, Paris, 2022, 200 pages

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