Alors qu’il vient de faire paraître Tout le monde aime Clara, son vingtième roman, David Foenkinos le dit sans détour : « Je suis assez obsessionnel avec le travail. Je dois avoir toujours l’esprit encombré. Je suis tout le temps à la recherche de nouvelles idées. »
Car depuis Inversion de l’idiotie. De l’influence de deux Polonais, paru en 2002 chez Gallimard, l’écrivain maintient un rythme de publication pouvant être qualifié d’intense, publiant en moyenne près d’un livre par année. Des romans qui sont pourtant très différents les uns des autres, mais qui touchent autant à l’amour et au couple qu’à la création artistique.
Joint chez lui à Paris, l’écrivain tempère. « Chaque personne a un rapport au temps différent. On peut parfois écrire un livre qui est ressenti depuis très longtemps en deux ou trois mois ou écrire quelque chose de laborieux en dix ans. Je ne crois pas qu’il y a de rapport entre énergie et temps. »
Clara, 16 ans, l’héroïne de Tout le monde aime Clara, sera victime d’un grave accident de la route qui va la plonger pendant plusieurs mois dans le coma. Ses parents, pris entre angoisse et culpabilité, passeront à son chevet le plus clair de leur temps et feront fabriquer en soutien des t-shirts affichant cette phrase (qui donne son titre au roman) : « Tout le monde aime Clara. »
À son réveil, six mois plus tard, l’adolescente aura la surprise de voir que ses parents, séparés, semblent avoir repris, mais elle va surtout se découvrir un don de seconde vue. Elle lit dans les gens comme dans un livre ouvert, connaît leur passé et sait ce qui va leur arriver.
On vous passe bien des détails de cette histoire éclatée, mais il est possible de faire, on le verra, de nombreux parallèles entre la voyance et l’écriture.
Pour raconter cette histoire, l’auteur de La délicatesse et de Charlotte (Gallimard, 2009 et 2014), né à Paris en 1974, reconnaît avoir en partie puisé dans son histoire personnelle. À l’âge de 16 ans, une grave maladie pulmonaire a entraîné plusieurs mois d’hospitalisation. Une expérience qui a profondément transformé David Foenkinos.
« J’ai passé quinze jours aux soins intensifs, entre la vie et la mort, raconte-t-il. Et quand je suis revenu à la vie, je suis revenu forcément avec une énergie différente, beaucoup plus sensible et assurément plus mystique. Il n’y a rien d’exceptionnel à ça. »
Quelque chose de paranormal
Une chose est certaine, David Foenkinos a attendu plusieurs années avant d’aborder le sujet qui est au cœur de ce nouveau roman. L’ésotérisme, l’astrologie, le mysticisme, le paranormal. Un sujet qui le touche particulièrement, qui l’habite depuis de longues années — il est notamment féru de numérologie, tous le savent autour de lui —, et que, pour la première fois, il aborde dans un roman. « Je suis un peu paradoxal. C’est peut-être mon côté scorpion, je suis à la fois ombre et lumière, à la fois très mystique et très cartésien. J’ai une vie très rationnelle, j’ai tous mes rendez-vous en tête, je ne suis pas quelqu’un de très lunaire. »
Tout le monde aime Clara est ainsi une sorte de coming out, un pas de côté par rapport au cartésianisme. « Pour tout dire, je trouvais assez ringard d’aborder ces sujets. Mais c’était très excitant d’un point de vue romanesque, un personnage qui d’un coup développe des capacités à comprendre la vie des autres. »
Écrire, c’est se laisser dépasser par le temps, par les événements ou par l’imagination. Un peu comme l’évoque Modiano dans Livret de famille : « J’avais vingt ans, mais ma mémoire précédait ma naissance. » Une phrase citée dans Tout le monde aime Clara et qui fait écho chez David Foenkinos à son intérêt prémonitoire pour le Berlin de Charlotte Salomon, cette peintre allemande morte à Auschwitz à l’âge de 26 ans. « Il y a très longtemps que je voulais faire un livre qui parle un peu comme ça de choses qui sont, on va dire, aux frontières du réel. »
Sans croire comme son héroïne à la réincarnation, le romancier adhère malgré tout à l’idée qu’on puisse être porteur de choses, d’un passé. Que les lieux qu’on découvre peuvent nous « parler ». Des sensations étranges qui l’intéressent particulièrement.
Comme l’intéressent les thèmes de la panne d’inspiration et du sentiment d’échec, qu’il explore ici à travers un personnage d’écrivain qui a publié un unique roman au début des années 1980, aux Éditions de Minuit, et qui survit en donnant des ateliers d’écriture — auxquels participera le père de Clara. À l’évidence, la panne d’écriture n’est pas l’un des problèmes de David Foenkinos. Mais c’est un thème qui semble le fasciner et qu’il avait notamment abordé dans La famille Martin (Gallimard, 2020).
Alors qu’il se décrit comme un boulimique de travail et d’écriture, David Foenkinos reconnaît qu’il est assez paradoxal d’avoir dans son roman un personnage qui n’a pas écrit depuis plus de quarante ans…
« Pour moi, la hantise, ce n’est pas la panne d’écriture, c’est la médiocrité. Le vrai problème, c’est de se confronter à ses propres limites. On a tous l’envie d’écrire des choses extraordinaires et d’être extraordinaires. Là, je suis en train d’écrire et je trouve assez moyen ce que je fais. Ça me déprime plutôt qu’autre chose », avoue-t-il. L’important à ses yeux est de parvenir à trouver l’originalité, l’intensité. De se sentir en phase avec son sujet. De ne surtout pas écrire pour écrire.
Voyance et écriture
À ses yeux, il existe « un lien qui est total et absolu » entre la voyance et l’écriture. Et pour ce livre, il a rencontré pour la première fois des voyants, s’est intéressé surtout à la naissance du don, à la manière dont ça arrive dans une vie. « Après mon hospitalisation, je me suis mis à lire et à écrire. Et à écrire en ayant de l’imagination. Pour moi, c’était exactement comme un voyant qui a des flashs. Quand j’ai écrit La délicatesse, un livre que j’ai écrit d’une manière très rapide et qui a un peu changé ma vie, je n’avais aucune idée d’où il venait. Les personnages, les scènes, les dialogues, j’avais tout en tête. »
Avoir l’intuition de l’avenir ou ressentir par empathie la vie des autres par la voyance lui semble proche de ce qu’il est possible de cultiver à travers le roman, qui correspond à de « la vérité traversée par l’incessante folie du hasard ». « Quand on écrit, on est sensibles au hasard, aux signes de la vie, à l’idée que tout a une signification. »
Et c’est un peu, en somme, le sujet de Tout le monde aime Clara. Un roman qui présente des situations et des personnages très différents, mais où tout semble se rejoindre et se recomposer à la fin. « Comme si tout ce qu’on vivait avait une signification », fait remarquer David Foenkinos.
À sa sortie, Tout le monde aime Clara a caracolé en tête des ventes pendant quelques semaines. « Ça me paraît toujours un peu improbable. C’est particulier, tout ça. Je ne sais pas vraiment pourquoi et comment, en fait », s’étonne-t-il. Quelle part joue la chance dans une carrière d’écrivain ? « Je ne sais pas si j’appellerais ça chance ou hasard, mais je pense que c’est déterminant. Je pense que j’ai été aidé par le destin. Et il y a des destins qui sont, à l’opposé, contrariés, abîmés, empêchés. »
Tout comme pour le narrateur du roman, chez David Foenkinos « le lien entre l’écriture et le mysticisme est un mariage d’évidence ». Plus encore, peut-être, le romancier adhère à l’idée que « l’inconscient s’épanouit pleinement entre les virgules ».
C’est ce qui lui arrive chaque fois, raconte David Foenkinos, qui ne peut comprendre ses romans qu’après les avoir écrits. « Je suis quelqu’un qui dit qu’il écrit tout le temps de la fiction, mais je pense qu’il y a aussi beaucoup d’inconscient qui agit. »
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