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L’œil du tigre dans l’œil du public
L’histoire tragique que Marilyn a interprétée sur scène alors qu’elle-même portait la vie a généré en elle une autre prise de conscience: «C’est un grand privilège d’être mère. Vraiment. Même si parfois on est fatiguée, qu’il y a la charge mentale, qu’on est imparfaite, qu’on est à boutte. Des fois, on pogne les nerfs même si on ne le veut pas. Il faut alors se pardonner et se ramener en se rappelant qu’on est chanceuse. Et profiter de chaque instant comme maman.»
C’est justement un de ces instants que Marilyn a savouré, l’automne dernier, en compagnie de son fils Laurence, de son amoureux [le scénariste et réalisateur Jean-François Rivard (Série noire, C’est comme ça que je t’aime)] et de la fille de celui-ci à la première du film Mlle Bottine, dans lequel l’actrice joue un rôle. Cela dit, la décision d’exposer publiquement sa précieuse petite famille n’a pas été prise à la légère. «Au début, je ne voulais pas exhiber mon enfant. La première fois que je l’ai fait, il avait deux ans. C’était sur un tapis rouge du spectacle Illumi. Quand tu es invitée à un événement, on dirait que tu sens obligée de donner quelque chose en retour.» Elle a donc accepté d’être immortalisée en photo avec Laurence. Pour chasser le malaise persistant qu’elle ressentait, elle essayait de se rassurer en se répétant: «“Bah ! C’est banal, une photo.” Mais non, ce n’est pas banal ! Elle m’a suivie longtemps, cette photo-là.» Dans des entrevues à la télé, par exemple. «J’ai vu l’ampleur que ça pouvait prendre quand tu ouvres cette porte. Et je m’étais dit: “Plus jamais.”» Une résolution qui n’a pourtant pas pu résister à l’enthousiasme débordant de sa belle-fille à l’idée d’assister à la première de Mlle Bottine.
«On l’a fait et mon gars a été extraordinaire, s’exclame Marilyn. Il m’a fait rire avec ses petits pouces et son attitude», dit-elle, le regard lumineux, en se levant et en posant fièrement avec deux pouces en l’air pour imiter son fils. «Ça nous fait découvrir le tempérament de notre enfant, sa personnalité, aussi. Mais je ne dis pas que je referais ça tout le temps.»
Le même questionnement s’est imposé lorsqu’elle a été invitée à parler de son enfant. «Au début, je me disais que je n’en parlerais pas, mais en même temps, ça fait tellement partie de notre vie, ça définit tellement qui on est !» Elle prend une pause, puis elle poursuit sa réflexion: «J’ai fait une entrevue cinq semaines après avoir accouché. On me demande alors ce que je vis… J’ai les seins gros de même, le bedon mou, ça change toute mon existence, toute ma perception de la féminité, tout mon état mental. Je ne peux pas ne pas en parler ! Aussi, c’est profondément féministe d’embrasser cette réalité-là et d’affirmer: “Eille, gang, ça fait partie de la vie, on n’a pas à se cacher et je n’ai pas peur de ne pas travailler parce que j’ai eu un enfant.” Cela dit, je choisis quand et à qui je m’ouvre entièrement. Il y a des discussions comme celle-ci, qui est magnifique depuis le début, où on sent que c’est utile, que ça aide, que ça va collectivement renforcer notre solidarité entre femmes par rapport à ce qu’on vit et ce qu’on traverse.»
Comme Marilyn aime choisir à qui elle se livre, sur la base d’échanges réels et signifiants, il n’est pas étonnant qu’elle évite les réseaux sociaux. La populaire comédienne préfère nettement accorder du temps aux gens qui viennent lui parler au coin d’une rue («je peux jaser 40 minutes avec eux») que de s’adresser à la terre entière, mais à personne en particulier. Le sens de la communauté qu’elle a hérité de sa jeunesse passée à l’Isle-aux-Coudres, c’est d’humain à humain qu’elle le conjugue. Et plutôt que de scruter la vie des autres sur un écran, elle préfère le recul, la perspective qui s’est ancrée en elle à force de contempler le Saint-Laurent. «J’ai le fleuve devant moi, j’ai de l’espace. Même quand je joue au théâtre, je retourne chercher la sensation de mon fleuve, de mon horizon par rapport à ce qui s’en vient, à ce qui se profile devant moi. Et je sais que ça va être correct.»
La Charlevoisienne choisit également de cultiver la gratitude plutôt que l’envie que suscitent parfois les images idylliques qui inondent les fils d’actualité. Peut-être est-ce le décès à 30 ans d’une de ses amies qui incite Marilyn à apprécier la vie et les petites étincelles quotidiennes de bonheur qu’elle recèle. Peut-être aussi que ça s’explique par l’exquise délicatesse d’âme de cette artiste à nulle autre pareille.