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Christophe Lebold étudie l’œuvre de Leonard Cohen depuis des années. Il en fait une biographie éclairante, qui sort pour la première fois au Canada. Plus qu’un simple récit factuel, Leonard Cohen – L’homme qui voyait tomber les anges offre une analyse pointue des chansons et des écrits du célèbre troubadour. De passage à Montréal, l’auteur français survole pour La Presse quelques thèmes centraux de son livre.
Publié à 1h30
Mis à jour à 9h00
Leonard Cohen et Montréal
Leonard Cohen est l’un des Montréalais les plus célèbres du monde. Si la ville est présente dans ses romans et sa poésie, elle l’est en revanche beaucoup moins dans ses chansons. « Quand tu veux parler à tout le monde, il faut une géographie imaginaire », suggère Christophe Lebold.
Malgré tout, Cohen était montréalais jusqu’au bout des ongles, que ce soit par son côté cosmopolite ou l’influence de la religion catholique. « Son imaginaire était juif, mais la première chose qu’il y a intégrée, c’est le catholicisme. Il adorait les églises. Pour lui, la Vierge Marie était le sublime féminin. » Lebold a fréquenté Cohen à Los Angeles, quelques mois avant sa mort en 2016. Il confirme que Montréal lui manquait. « Il me disait : “Il faut que tu ailles à Montréal pour comprendre qui je suis.” »
Leonard Cohen et la culture juive
Un de ses grands-pères était rabbin. L’autre a fondé le Congrès juif canadien. Même son nom signifie « prêtre » en hébreu… Difficile de dissocier Leonard Cohen de la culture et de la religion juives. Outre un certain nombre de métaphores et d’allusions bibliques, la judaïté du chanteur s’exprimait aussi par l’idée de l’exil, qui a marqué sa vie et son œuvre. « C’est une idée très juive, l’idée que tu ne peux pas te fixer, que tu ne peux que multiplier les ancrages, que tu es un déraciné permanent. Cette idée juive de l’exil résonne aussi avec sa dépression. Le fait qu’il n’était pas vraiment chez lui à l’intérieur de lui. »
Son rapport au judaïsme était en revanche très personnel, le chanteur ayant intégré des influences extérieures comme le catholicisme et le bouddhisme zen. « Il a fertilisé l’imaginaire juif avec d’autres traditions pour créer une théologie pop pouvant permettre aux gens de développer un imaginaire spirituel qui ne soit pas dépendant d’une religion. »
Leonard Cohen et Israël
Le chanteur a chanté pour l’armée israélienne en 1973, pendant la guerre du Kippour. Qu’est-ce que cela nous dit sur ses opinions politiques, au regard de tout ce qui se passe à Gaza aujourd’hui ? « On ne peut pas parler pour lui, répond Christophe Lebold. C’était un homme complexe. Impossible de dire comment il aurait réagi par rapport au 7-Octobre. Il a chanté pour l’armée israélienne, mais il s’est rendu compte dans le désert qu’il avait aussi envie de chanter pour les Égyptiens, qui étaient aussi ses frères. Il l’a dit publiquement dans une interview en 1993. »
Lors de leurs rencontres, Lebold se souvient que le chanteur était « très mesuré » sur la question palestinienne. « Il était sans doute très attaché à l’idée d’un État juif, mais il me disait : “Tu ne peux pas humilier tes adversaires, c’est une stratégie perdante…” C’était un humaniste. Il avait un grand sens de la fraternité. »
Leonard Cohen et les femmes
Ce n’est pas un secret, Leonard Cohen était un grand séducteur. De Janis Joplin à Joni Mitchell, il a collectionné les aventures d’une nuit. Au fil de ses recherches, Christophe Lebold s’est toutefois rendu compte que Cohen n’était pas qu’un simple tombeur en série. « La réalité est plus complexe », dit-il. Selon l’auteur, son rapport à l’amour relevait quasiment d’une quête spirituelle. « Il était fasciné par la magie des femmes. Il sentait qu’il y avait quelque chose de divin en leur présence. Il avait l’impression qu’elles allaient le sauver des avalanches, de la dépression… »
Malgré cette subjugation, Cohen peinait à s’attacher, comme si aucune relation ne pouvait combler sa soif d’absolu. Il a certes connu de grands amours (« Je pense qu’il a aimé Marianne deux ou trois ans »), mais a fait preuve d’une grande résistance. « Dès qu’il trouvait l’amour, il s’en allait. » Lebold souligne que le poète a conservé des relations amicales avec la plupart de ses anciennes flammes.
Leonard Cohen et ce livre
L’homme qui voyait tomber les anges est une biographie. Mais pas que. C’est aussi une étude sérieuse de l’œuvre de Leonard Cohen. Pas surprenant puisque, dans la vie, Christophe Lebold est professeur de littérature. Il se penche donc sur les textes du poète pour comprendre comment l’œuvre éclaire l’homme et vice versa. « J’ai essayé de saisir ce que j’appelle les dynamiques profondes de sa vie. De voir ce qui anime cette vie : la poursuite de l’amour. Le combat avec les avalanches, l’abîme. La quête spirituelle. Le jeu de cache-cache avec Dieu. L’appel du Monde. Bref, tout ce qui permet de créer une cartographie de son imaginaire », explique Lebold.
Un constat parmi d’autres : Cohen était un homme de contrastes. Sombre et lumineux. Grave et léger. Sérieux et drôle. Charnel et spirituel. « Il a pratiqué l’art du paradoxe comme un art de vivre, résume l’auteur. C’est une des grandes leçons de Leonard Cohen : il faut toujours être une chose et son contraire. C’est présent dans toutes les traditions mystiques. Mais c’est très présent dans le zen. »
Leonard Cohen et Christophe Lebold
Le chanteur et le biographe ont échangé par écrit pendant des années. Jusqu’à ce que le premier invite le second à venir lui rendre visite à Los Angeles, quelques mois avant sa mort. Lebold garde de ces rencontres un souvenir très ému. « Quand tu étais avec lui, tu te sentais sous sa protection. » L’auteur a passé deux week-ends avec le « maître ». À fouiller dans ses archives. À discuter de tout.
Le chanteur était déjà malade et se savait condamné. Mais il dégageait une grande sérénité, vivant très simplement, dans une maison relativement petite. Un soir, le chanteur avait même insisté pour faire la cuisine. Que lui avait-il concocté ? « Un poulet choucroute ! », se souvient Lebold.
Leonard Cohen – L’homme qui voyait tomber les anges
Boréal
656 pages