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Libérer la paresse | La paresse enchaînée

Paru en premier sur (source): journal La Presse

Après la colère et la luxure, voilà que Geneviève Morand et Natalie-Ann Roy poursuivent leur relecture impertinente et féministe de nos pires vices avec ce 3e péché capital, et non des moindres : la paresse, clairement moins facile à libérer qu’on pourrait penser.


Publié à 3h20

Mis à jour à 11h00

Tabou, vous dites ? Après Libérer la colère (2018) et Libérer la culotte (2021), c’est la réflexion qui nous vient spontanément à la lecture de ce confrontant Libérer la paresse, où il sera davantage question d’épuisement que d’oisiveté.

Il fallait s’y attendre. À la question « que faites-vous ces jours-ci ? », qui ose vraiment répondre : pas grand-chose ? Existe-t-il pire honte que d’être peu occupé ? Surtout : peut-on vraiment rêver d’une paresse généralisée ? « Si personne ne se lève demain matin, le système au complet va s’effondrer ! », savent aussi les deux codirectrices du collectif, rencontrées lundi matin. D’où l’infinie complexité du sujet, faut-il le signaler.

Publié aux Éditions du remue-ménage, le livre réunit ici une vingtaine de plumes, en plus de celles de Geneviève Morand et de Natalie-Ann Roy, parmi lesquelles Gabrielle Boulianne-Tremblay, Marie-Pierre Duval, Heather O’Neill, Catherine Voyer-Léger et Cathy Wong.

Vous l’aurez deviné, ouvrage féministe oblige, on a fait l’« effort » d’aller chercher des voix « féminines, trans, queer ou non binaires ».

Pour cause : à ce jour, « la plupart des livres sur la paresse ont été écrits par des plumes masculines ! », dit Geneviève Morand, en faisant allusion à la Philosophie du canapé (Stefano Scrima) ou au Droit à la paresse (Paul Lafargue), notamment.

Est-ce un hasard ? En tendant ici le micro majoritairement à des femmes, donc, l’écho est tout autre. Et cela saute aux yeux dès les premières lignes. Il ne sera pas tant question ici de détente ou de flânerie, on l’a dit. Oubliez l’éloge du bain chaud et des bonnes bulles, vous n’y êtes pas du tout. C’est de fatigue qu’il sera question. Quasi unanimement. Et ça va fesser.

Un mot ici pour souligner le courage de certains textes de ce costaud recueil de près de 300 pages tout sauf paresseux (scusez-la), qui osent une transparence bouleversante. Pas facile de confier (assurément moins de l’écrire sur papier) sa vulnérabilité. Non seulement les témoignages semblent se faire écho – un épuisement professionnel ici, parental là, pourquoi pas politique, en passant par un arrêt aux urgences psychiatriques, en voulez-vous de la fatigue, en voilà –, mais il est en outre difficile de ne pas s’identifier. Qui ne croule pas sous la charge mentale parmi nous ? Qui ne court pas après sa queue ?

Santé mentale, image corporelle, maternité, identité, les masques tombent ici les uns après les autres. Et la fatigue de tout avoir à « performer », comme on dit, revient encore et toujours. Certes, par moment, c’est lourd, limite redondant, carrément enrageant.

Ce n’est pas joyeux. […] On a créé une courtepointe et la parole qui en est sortie, c’est ça.

Natalie-Ann Roy, codirectrice du collectif Libérer la paresse

Il faut dire que c’est dans l’air post-pandémique du temps, cette réflexion sur l’épuisement s’ajoutant à celle déjà amorcée par Véronique Grenier (et son récit À boutte), Bianca Gervais (et sa série Crevée), sans oublier Rose-Aimée Automne T. Morin (et son émission Ralentir).

C’est sans doute aussi pourquoi le recueil débute en lion, avec une correspondance entre les deux codirectrices, sur ce catégorique constat : « ce livre est un échec ». « On n’est pas arrivées à la libération ! confirment en chœur les deux femmes. Ça nous a obligées à faire face à nos impuissances. » Ironie du sort, Geneviève Morand et Natalie-Ann Roy ont aussi mis trois ans à concrétiser ce livre, après avoir dû mettre le projet sur « pause », pour cause d’épuisement professionnel, chacune et respectivement. « On a vraiment incarné notre thème », disent-elles en riant. Plus qu’on pourrait croire : elles ont aussi réduit leurs attentes, fait appel à moins de textes, même annulé des rencontres pour… faire des siestes.

Idées de solutions

Parlant de siestes, il faut savoir qu’ici et là émergent tout de même quelques pistes intéressantes. Des idées qui surgissent généralement (énième dérangeant constat) après être tombées au combat, pour cause de maladie, épuisement professionnel, ou autre. On pense à la semaine de quatre jours, l’année sabbatique, les horaires variables. Une autrice travaille uniquement le soir, pour se libérer du temps le jour. Plusieurs ont aussi adopté le travail autonome, pour réduire leurs horaires, justement. Mais ces décisions ne sont pas sans conséquences économiques, il va sans dire. Quant à Geneviève Morand, elle revendique le droit d’amener ses enfants en retard à l’école, de prendre des journées de congé de « santé mentale » et de faire les devoirs à moitié. « Mes enfants n’atteindront pas des sommets », écrit-elle, dans un éloge senti du « good enough parent ».

N’empêche : si toutes ces pistes individuelles ne sont pas sans intérêt, l’enjeu demeure collectif, concluent nos deux interlocutrices. « C’est un enjeu de santé publique, l’épuisement collectif coûte si cher, avance Geneviève Morand. On ne peut plus vivre comme ça avec des burn-out en série. Ce qui m’encourage, c’est qu’on est quand même beaucoup à y réfléchir. »

Justement… « Est-ce qu’on ne pourrait pas le prendre en amont, faire de la prévention ? On aurait tout à gagner. Mais pour ça, il faudrait parler d’argent ! », ajoute Natalie-Ann Roy. Intéressante idée, qui sera d’ailleurs explorée dans leur prochain livre, apprend-on, où on tentera cette fois de libérer un nouveau péché, à savoir… l’avarice !

Libérer la paresse

Libérer la paresse

Geneviève Morand et Natalie-Ann Roy

Éditions du remue-ménage

276 pages

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