Source : Le Devoir

Dans le milieu journalistique, l’écrivaine Louise Penny est reconnue pour sa gentillesse et sa générosité en entrevue. Il est vrai que, même à l’autre bout du fil, son rire franc, sa transparence et son intérêt sincère envers son interlocuteur laissent croire qu’elle pourrait facilement devenir une amie, une confidente.
On se surprend même à trouver tout à fait naturel qu’elle ait gagné le cœur de l’une des femmes les plus influentes de la planète, l’ancienne secrétaire d’État des États-Unis, Hillary Rodham Clinton, et ce, bien qu’elles n’habitent pas le même pays, qu’elles n’évoluent pas dans le même milieu et que tout semble, de prime abord, les séparer.
C’est grâce à la meilleure amie d’Hillary Clinton, — Betsy, aujourd’hui décédée — qu’elles se sont rencontrées. « En 2016, juste avant les élections américaines, Betsy a mentionné en entrevue qu’Hillary et elle adoraient lire les mêmes bouquins pour en discuter après », raconte Louise Penny.
« La journaliste — que Dieu la bénisse — lui a donc demandé quel livre elles partageaient actuellement. Par le plus heureux des hasards, elles lisaient l’un des miens. Plus tard, Betsy et moi nous sommes rencontrées lors d’un lancement à Chicago, et ça a été le coup de foudre. »
Quelques mois plus tard, après l’élection, l’écrivaine québécoise est invitée à rencontrer Hillary Clinton dans sa résidence de New York. « J’étais terrifiée. Or, la femme que j’ai rencontrée n’est pas celle que vous voyez à la télévision, à moins de bien porter attention. Elle était généreuse, hilarante et à l’écoute. Je venais tout juste de perdre mon mari. Nous étions deux femmes qui venaient de vivre d’horribles deuils, des expériences bouleversantes. Ça nous a permis de connecter intimement. »
Écrire en tandem
L’écrivaine, qui connaît un grand succès avec sa série de romans policiers mettant en vedette l’inspecteur Gamache, se dit la première surprise que cette amitié féconde ait donné naissance à un roman — unthrillerpolitique de surcroît. Approchées par leur agent respectif pour collaborer à un projet de livre, les deux femmes avaient leurs réserves. « Hillary avait peur que ça affecte notre amitié. Pour ma part, je n’étais pas certaine d’être capable d’écrire un thriller, encore moins à deux. Mais c’était tout au début de la pandémie et il n’y avait pas beaucoup de choses à faire. On a décidé de faire un essai. »
Le produit final, État de terreur, dans une traduction de Lori Saint-Martin et Paul Gagné, offre une incursion passionnante dans les dédales de la politique et de la diplomatie américaine, multipliant les détails protocolaires et les révélations chocs sans ne jamais perdre une once de tension dramatique.
Au pouvoir depuis quelques semaines seulement, Ellen Adams, nouvelle secrétaire d’État américaine, doit composer avec une série d’attentats terroristes déclenchés dans certaines des plus grandes villes d’Europe. S’amorce alors une vaste partie d’échecs où s’entrecroisent la course aux armements nucléaires, l’instabilité politique du Pakistan, de l’Afghanistan et de l’Iran, les fins stratèges de la mafia russe et un gouvernement américain qui doit regagner confiance et dignité sur la scène internationale.
« J’ai d’abord demandé à Hillary ce qu’était son pire cauchemar lorsqu’elle était en poste, ce qui la tenait éveillée la nuit. Elle m’est revenue avec trois scénarios, qui sont dès lors devenus mes cauchemars aussi, raconte Louise Penny en riant. Il m’apparaissait évident que l’option nucléaire avait un grand potentiel narratif. »
Les femmes au centrede l’action
La hantise d’une guerre nucléaire a effectivement de quoi faire frissonner, plus encore depuis que le président russe Vladimir Poutine a décidé d’envahir l’Ukraine, laissant planer le spectre d’un conflit mondial.
Les deux amies ne se sont pas privées d’ajouter une touche d’humour au récit et de jouer avec les exagérations et les clichés. L’histoire demeure toutefois traversée d’éclairs de lucidité terrifiants, notamment lorsqu’il se joue de l’ego démesuré d’hommes politiques avides de pouvoir et de reconnaissance à travers, entre autres, la figure d’un ancien président américain qui a miné la crédibilité du pays, ne se gênant pas pour faire quelques entorses à la démocratie au passage.
« C’était important de ne pas reculer devant la réalité politique, les menaces à la démocratie et les torsions qu’on fait subir au mot “patriotisme” à notre époque. Avant le 6 janvier 2021 et l’assaut du Capitole, personne n’aurait cru à ce personnage, poussé à son paroxysme. Maintenant, la réalité dépasse la fiction. »
Ellen Adams, forcée de dialoguer avec ces égocentristes chevronnés, devra trouver sa place, surmonter ses doutes et parvenir à conjuguer ses identités de femme, de mère, d’amie, de politicienne et de stratège. C’est là que l’expérience d’Hillary Clinton est la plus fructueuse.
« Elle a vécu ce que toutes les femmes expérimentent à un moment ou à un autre, puissance mille : l’invisibilité. C’était très intéressant de comprendre comment une femme navigue dans ce milieu d’hommes, parvient à prendre la place qui lui revient tout en sachant quand faire un pas de recul, quand jouer le jeu pour mieux gagner la partie. »
Extrait d’État de terreur
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