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Madeleine et moi | Marc Séguin sous le règne de la beauté

Paru en premier sur (source): journal La Presse

Dans Madeleine et moi, Séguin raconte son pèlerinage à travers l’œuvre d’Ozias Leduc. Nous lui avons donné rendez-vous à l’église Saint-Enfant-Jésus du Mile End, en partie décorée par celui qui lui aura permis de renouveler sa foi en l’art.


Publié à 1h19

Mis à jour à 8h00

« Les gens viennent rarement ici pour le bon Dieu. Ils viennent ici pour la beauté. » En quelques mots, le concierge de l’église Saint-Enfant-Jésus du Mile End, Marc-André Brunet, résume sans le savoir une importante partie du propos de Madeleine et moi, le plus récent de Marc Séguin, son dixième.

En ce mardi après-midi, nous sommes alors dans cette alcôve de beauté grave et patiente qu’est la chapelle du Sacré-Cœur, à laquelle on accède par une porte discrète, au bas de l’autel, une pièce décorée entre 1917 et 1919 par Ozias Leduc (1864-1955) en hommage aux ouvriers des carrières et aux cultivateurs qui ont fondé ce qu’on appelait jadis le village de Saint--du-Mile-End.

Bien que plusieurs parties en aient été altérées – surpeintes est le mot exact – à la suite de travaux de restauration maladroits entrepris dans les années 1960, Marc Séguin entre ici avec la même piété qui imprègne tout son . Une piété dont l’objet de dévotion serait non pas la Sainte Trinité, mais l’œuvre attentive et chatoyante d’un Leduc qui a toujours su rendre aux symboles d’un catholicisme trop souvent austère leur part de sensualité, de mystère.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Le concierge Marc-André Brunet et Marc Séguin dans la chapelle du Sacré-Cœur

« Je ne suis pas sûr qu’il était si croyant que ça », lance le peintre et écrivain au sujet de celui que l’on surnomme le sage de Saint-Hilaire. C’est en tombant par hasard sur une reproduction d’un de ses tableaux, Madeleine repentante, et en vivant un choc d’un ascendant qui renverse et élève d’un même élan, qu’il s’engagera dans un voyage à travers l’imaginaire de l’artiste et de plusieurs églises où il a laissé sa trace.

Marc Séguin se décroche le cou afin de scruter, solennel, les quatre toiles de Leduc entourant la coupole de l’église Saint-Enfant-Jésus du Mile End et imagine l’homme, la cinquantaine bien entamée, juché sur des échafaudages probablement chambranlants, à maroufler lui-même ses œuvres contre le plafond.

Les toiles d’Ozias Leduc dans la coupole de l’église
  • Une des quatre toiles de Leduc entourant la coupole de l'église Saint-Enfant-Jésus du Mile End

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

    Une des quatre toiles de Leduc entourant la coupole de l’église Saint-Enfant-Jésus du Mile End

  • Une des quatre toiles de Leduc entourant la coupole de l'église Saint-Enfant-Jésus du Mile End

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

    Une des quatre toiles de Leduc entourant la coupole de l’église Saint-Enfant-Jésus du Mile End

  • Une des quatre toiles de Leduc entourant la coupole de l'église Saint-Enfant-Jésus du Mile End

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

    Une des quatre toiles de Leduc entourant la coupole de l’église Saint-Enfant-Jésus du Mile End

  • Une des quatre toiles de Leduc entourant la coupole de l'église Saint-Enfant-Jésus du Mile End

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

    Une des quatre toiles de Leduc entourant la coupole de l’église Saint-Enfant-Jésus du Mile End

Qu’admire-t-il le plus chez celui à qui il a consacré quelques saisons de sa vie ? « Ses 70 ans de création intarissable. Pour te lever le matin et monter dans des échafauds, il faut que tu sois motivé », dit-il, avant de se mettre à réfléchir à voix haute, sur un ton toujours très doux, comme pour se rappeler à lui-même quelque chose de fondamental à son propre sujet.

« Je ne fais pas ce que je fais dans la vie pour l’argent, mais parce que lorsque je suis enfermé dans mon affaire, je touche à une liberté et à une euphorie qui n’existent pas ailleurs. Et je soupçonne que c’était la même chose pour monsieur Leduc. »

L’habitude des ruines

De retour dans la chapelle, Marc Séguin photographie avec son téléphone quelques détails inscrits sur les murs, au pochoir, dont une série de fleurs de blé. « La beauté ne suffit pas à garantir l’immortalité », écrit-il dans Madeleine et moi, un constat que tend à confirmer la place sans doute trop modeste qu’occupe aujourd’hui l’œuvre d’Ozias Leduc dans la mémoire collective québécoise.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Marc Séguin observant les détails de la chapelle

Qu’il n’ait peint qu’une petite quantité de tableaux de chevalet explique en partie sa timide présence dans les collections des musées. Mais dans plus de 30 églises et chapelles au , en Nouvelle-Écosse et dans l’est des États-Unis, son œuvre s’offre à quiconque ose franchir la porte.

Ce qui n’est pas toujours si simple, compte tenu de la relation compliquée liant l’Église et les Québécois qui, dans la foulée de la Révolution tranquille, « ont tiré la chasse sur le culte et la liturgie, mais en laissant ce rapport à la beauté y passer aussi », observe Séguin.

J’ai mis le pied dans toutes ces églises en me disant que j’ai la chance de regarder ces œuvres en soustrayant le folklore religieux. On peut faire le choix de juste s’intéresser à l’exécution, qui est hallucinante.

Marc Séguin

Autre entrave à notre réappropriation collective de ces lieux : certains d’entre eux manquent d’amour, ce qui est le cas de l’église Saint-Enfant-Jésus du Mile End et de ses murs qui écaillent, dont le concierge Marc-André prend soin comme il le peut. Aucun office ne s’y tient, faute de curé, et les portes y sont généralement verrouillées, la raison pour laquelle Marc Séguin n’a pas pu y accéder l’écriture de son récit.

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Marc Séguin scrutant une œuvre d’Ozias Leduc

Le titre de l’important de Marie-Hélène Voyer L’habitude des ruines () vient à l’. « C’est vrai qu’on est en train de s’habituer, regrette Séguin, et je trouve ça scandaleux. »

« S’extraire du tas de fumier »

Même s’il ne parle pas de la foi d’un mortel en une déité au visage mordu par une longue barbe, Madeleine et moi est un livre qui parle d’une foi. Une foi vivace, bien que toujours soumise aux intempéries : celle de Marc Séguin envers l’art.

« Humilié », c’est le mot qu’il se souvient avoir employé à sa sortie de l’église de Saint-Hilaire. Humilié au sens d’humilité, « rendu humble devant tant de travail, de grâce, d’acharnement et de talent », écrit-il.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Marc Séguin, captivé

« Ça me fait chier que mon admiration me fasse douter de moi, confie-t-il. Je vois quelque chose de fabuleux et je me dis que je ne suis qu’une crotte de nez. Mais j’ai déjà essayé de me convaincre que j’ai tout le temps raison et, chaque fois que je suis allé dans cette direction-là, je me suis toujours planté. Lamentablement. Honteusement. Il faut que je vive avec le fait que quand je crée, je ne sais pas ce que ça vaut. Parce que c’est essentiel à une vie d’artiste de douter. »

Mais qu’est-ce que la beauté ? À l’église du Mile End, la question trouve elle-même sa réponse partout où vous déposez le regard.

« Je dirais que c’est un sentiment qui naît de quelque chose qu’on a de la difficulté à expliquer, mais qui nous semble essentiel, répond Marc Séguin. C’est un ordonnancement qui pointe vers quelque chose de plus grand que le quotidien. C’est peut-être ce qui peut nous raccrocher à l’idée de vivre, qui aide à se réconcilier avec la haine, les incompréhensions qu’on peut avoir face au monde. »

Il s’interrompt, comme de peur de passer pour un illuminé. « Oublie tout ce que je viens de dire : de la beauté, c’est ce qui me rappelle, chaque fois que j’en vois, que c’est possible de s’extraire du tas de fumier. »

Madeleine et moi, en librairie le 25 septembre

Madeleine et moi

Madeleine et moi

Marc Séguin

Leméac

120 pages

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