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Jusqu’au 15 décembre, le Centre du Théâtre d’aujourd’hui accueille les mots de Mani Soleymanlou, assis sur un tabouret, devant le groupe Valaire qui s’exécute en musique.
On va parler de la mort, du deuil, du cancer, de la guerre
, lance entre autres le comédien et dramaturge, tout sourire, dès le début de Zamân ou on a le même temps qu’on avait. Puis Valaire, réputé pour ses rythmes funks enjoués, enrobe déjà le propos, tel un oxymore musical.
Lorsque le Théâtre La Chapelle avait accueilli Zamân en 2023, Mani Soleymanlou venait tout juste d’écrire ce texte qu’il livre une fois de plus assis devant son ordinateur, accompagné par la musique de Valaire.
L’an dernier, on s’est vu un dimanche avec Valaire, puis le jeudi suivant, on présentait ça sur scène. On a fait ça en quatre jours, explique-t-il. Les gars avaient de la musique. Des nouvelles compositions et des vieilles compositions. Moi j’avais de vieux textes et de nouveaux textes. On a mis ça ensemble et ça a donné cet objet-là.
Une prestation à côté des conventions
Ce n’est pas du théâtre conventionnel, mais un moment littéraire et musical, philosophique appelant à l’introspection. Jamais improvisé, le spectacle donne tout de même l’impression d’être un travail en cours
. C’est un style que l’auteur souhaitait imposer à cette forme hybride de présentation.
J’ai commencé à écrire ce texte, qui n’était pas encore en spectacle en 2020, en début de pandémie, raconte-t-il. Avec Julien Morissette de Transistor Média, on a fait quelques épisodes de balado avec cette histoire (Onze (Nouvelle fenêtre)). Puis finalement est arrivé le temps de vouloir mettre ça en scène, c’est-à-dire sortir du médium radio, pour aller dans le médium que j’affectionne particulièrement, qui est la scène.
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Dans « Zamân » Mani Soleymanlou livre un texte, assis devant son ordinateur, accompagné de la musique de Valaire.
Photo : Valérie Remise
Durant cette discussion avec le public, Mani Soleymanlou se dévoile, vulnérable, racontant la maladie de sa mère, un cancer du cerveau agressif qui lui a fait perdre la parole. Puis il retourne en arrière et raconte son propre cancer, remontant en 2007, décortiquant au passage notre rapport au temps, aux choses et aux souvenirs.
Ce n’est pas une comédie musicale
, s’empresse de dire le dramaturge. Pour lui, il s’agissait de convier les gens à une soirée différente et de sortir du cadre plus frontal qu’impose le théâtre. J’avais envie de dire quelque chose de plus simple. La musique n’est pas narrative. On ne voulait pas que ce soit une musique qui soutient quelque chose, mais qui est côte à côte avec le texte.
La musique existe alors aux abords de son récit, telle une soupape.
Ça permet par moment de pouvoir sortir d’un extrait qui est peut-être difficile à gérer ou qui est chargé d’émotions pour laisser sortir quelque chose d’accumulé. C’est comme un outil qui permet la compréhension du texte ou la digestion du texte de façon différente.
Ainsi, pour ne pas laisser la peine prendre le dessus, il la place délicatement dans une balance avec le bonheur. Par exemple, si le public se déchire le cœur lorsqu’il explique la destruction du souvenir de la voix de sa mère — cette voix qu’il prend entre ses doigts et qu’il regarde s’en aller — il est vite ramené dans le mouvement d’un air gai au rythme duquel on laisse couler les larmes des secondes d’avant.
Tout près de sa douleur, on se plonge dans les nôtres
Avez Zamân, qui signifie époque
, l’acteur dessine les contours de ses deuils en commençant le récit tout près de ceux-ci. Puis au fil de l’histoire racontée, il recule et laisse l’émotion vive s’installer dans un décor plus grand. C’est la chose la plus difficile que j’ai eu à écrire, donc je veux bien que l’émotion soit présente, mais je ne veux pas qu’elle soit au premier plan
, dit-il.
La réflexion par rapport aux évènements en est une globale. Assis dans la salle, le regard posé sur ses souffrances nous permet de nous questionner sur les nôtres avec les bonnes questions, même si nos douleurs sont très différentes.
On ressent mon pas de recul parce que si j’avais dit ces choses au moment où elles sont arrivées en 2020, j’aurais vécu tout ça différemment. Et ça aurait pu devenir malaisant d’intimité. Mais avec le temps, cette chose-là qui est le rapport au deuil, ça se dilue. Ça devient autre chose, ça se transforme, ça s’installe. Je suis dans un autre deuil, en fait.
Zamân embrasse cette forme simple et unique en ce moment, mais Mani Soleymanlou perçoit toutes les mouvances possibles de cet objet théâtral et artistique. Ça sollicite une autre écoute
, précise-t-il. Et peut-être que Zamân se modifiera. C’est peut-être parce que je me retiens, peut-être parce que je ne veux pas aborder ce sujet comme j’aborde le reste, parce que je veux laisser de la place à ces mots-là. Mais pour l’instant, cette forme est très importante.
En exposant son rapport au temps qui se déconstruit, ralentit et s’accélère au fil des évènements houleux qui frappent sa vie, le dramaturge espère nous amener au plus près de notre réflexion sur le temps qu’il nous reste et ce qu’on en fait. Idéalement, sans avoir à affronter un cancer pour faire ces réalisations
, ajoute-t-il.
Je veux que les gens repartent avec une envie de réfléchir. Que ces choses-là puissent les habiter quelques heures, quelques jours. C’est là où je suis le plus heureux comme créateur, en sachant que les gens repartent avec quelque chose et que ce n’est pas fini. J’aime bien cette idée-là que les choses commencent quand le spectacle est fini.
On quitte Zamân avec la peur de manquer de temps et le désir de poser des questions à tous ceux qu’on aime. Et si certaines visites d’êtres chers n’étaient pas au programme de la saison festive cette année, elles le deviendront.
Zamân ou on a le même temps qu’on avait est présentée au Centre du Théâtre d’aujourd’hui jusqu’au 15 décembre 2024.