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«Manikanetish»: au cœur d’une classe innue

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Dans le roman Manikanetish, de NaomiFontaine, l’enseignante de français d’une classe d’Innus de cinquième secondaire d’Uashat, sur la Côte-Nord, les invite à monter la pièce de théâtre Le Cid, de Corneille. « Pourquoi t’as pas pris une pièce qui parle des Innus ? » lui demande alors un élève.

Et bien voilà qui est fait. Manikanetish,l’histoire de cette enseignante et de ses élèves innus, vient d’être adapté au théâtre et prend l’affiche au théâtre Jean-Duceppe, avec dans le rôle de l’enseignante, et dix comédiens issus des nations innues et micmaques.

« Ça me tenait à coeur que ce soit des Innus qui jouent des Innus. Ce sont majoritairement des comédiens qui ont peu d’expérience », note-t-elle, sauf Charles Buckell-Robertson, qu’on a vu dans Pour toi Flora, Une autre histoire et L’enfant territoire, et Sharon Fontaine-Ishpatao, qui a joué dans Kuessipan et Toute la vie. « Je trouvais que les Innus avaient ce qu’il fallait pour puiser à l’intérieur et trouver les émotions pour interpréter de jeunes Innus. »

L’équipe de comédiens est jeune. « C’est le fun de voir ça. Ils ont quasiment l’âge d’être dans ma classe. Ils ont une belle énergie. »

Une expérience en enseignement

Sans être entièrement autobiographique, Manikanetish — qui signifie « petite marguerite » en innu — est très inspiré de l’expérience de Naomi Fontaine comme enseignante. Manikanetish, c’est le nom de l’école de la réserve, qui rend hommage à une femme nommée Marguerite qui a consacré beaucoup de temps à s’occuper des enfants des autres, explique Naomi Fontaine en entrevue.

C’est là qu’elle est retournée enseigner, quinze ans après avoir quitté avec sa famille la réserve où elle est née pour habiter à Québec. « L’exil se trouve à huit heures en voiture et il a la peau pâle », écrit-elle à ce sujet.

L’expérience de l’enseignement à Uashat, tout près de Sept-Îles, a duré trois ans. Elle l’a condensée dans son roman en un an. En écrivant ce texte, elle a voulu rendre hommage à ses étudiants innus.

« J’ai écrit ce livre pour rendre hommage à mes élèves », dit-elle. Pour qu’on les voie d’une manière différente, loin « des statistiques qui disent : “nous : on est poche en français parce que c’est pas notre langue”. Je me suis dit que les gens auraient un autre regard, qu’ils verraient la force des jeunes Innus, leur courage, les épreuves qu’ils ont eu à surmonter ».

Parmi ces épreuves, il y a le deuil d’une mère, que Marc doit traverser, le suicide d’une soeur, pour , ou une grossesse, pour Julie. « Ils sont forts là-dedans. Ils relèvent la tête », dit l’autrice. Par ailleurs, la venue d’un enfant, même en cours d’études secondaires, n’est pas nécessairement vue comme une catastrophe.

« C’est une réalité, dit Naomi Fontaine. Ici, la grossesse est moins vue comme quelque chose de terrible qui va gâcher ta vie. Tu peux finir ton secondaire. Il y a une plus grande ouverture face à la grossesse. Je trouve ça positif. » De plus, elle note que chez les Innus, un diplômesecondaire a la même valeur s’il est obtenu à 17 ans qu’à 25 ans. 

Après ses années d’enseignement à Uashat, Naomi Fontaine est retournée faire sa maîtrise à Québec, avant de revenir s’installer dans la réserve. Le jour de notre entretien, elle était en plein déménagement.

Mais la notion de « réserve », avec les clôtures qu’elle sous-entend, l’indispose. « Je vis hors de la réserve, mais je suis proche de la communauté », dit-elle.

« Je veux être proche de ma communauté. C’est ma famille qui m’aide à me construire dans mon identité innue, en tant que femme et mère. Mais je ne serai jamais pour la réserve, dit-elle. La réserve est un lieu qui n’a pas été choisi par les Innus, mais imposé par le gouvernement, dans lequel on est tous nés. C’est assez difficile de sortir de cette sorte de cloisonnement. »

Renverser les rôles

Avec ses élèves, elle a aussi appris à apprivoiser le territoire, Nutshimit, comme on l’appelle en innu-aimun, ce « lieu sacré et ce lieu de l’intimité ».

« J’y suis allée avec mes élèves. C’est là qu’on apprend à se connaître réellement, dit-elle. Mes élèves étaient plus savants que moi dans la forêt. » Pour un Innu, dit-elle, Nutshimit « vient rejoindre son histoire, son héritage, ce que ses grands-parents ont traversé et d’où vient son sentiment d’appartenance ».

À son arrivée comme enseignante, Naomi Fontaine reconnaît qu’elle n’était « pas très différente » d’une enseignante non autochtone. « Je voulais changer le monde et sauver le monde. »

En cours de route, elle a compris que l’important, pour accompagner ses élèves, n’était pas d’avoir un diplôme ou de bien parler français, mais plutôt de gagner leur confiance. « Une fois que tu as gagné leur confiance, tu peux leur demander n’importe quoi. »

Avant d’écrire son livre, Naomi Fontaine avait consulté ses élèves pour savoir s’ils étaient en accord avec sa publication. « Ils ont bien apprécié le livre », dit-elle.

Manikanetish

D’après le roman de Naomi Fontaine. Adaptation : Naomi Fontaine et Julie-Anne Ranger-Beauregard. Mise en scène : Jean-Simon Traversy. Au théâtre Jean-Duceppe, du 8 mars au 8 avril.

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