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Écrire Dans la lumière de notre ignorance et Toi comme hier, était-ce une manière d’apprivoiser votre deuil?
Mettre sur papier mes émotions vives, c’était un peu mettre de l’ordre dans le chaos. Écrire me faisait vivre et revivre des scènes puissantes de ma vie récente. C’était parfois doux, parfois profondément douloureux. Mais après chaque séance d’écriture, je me sentais plus légère, comme si je partageais dorénavant le poids de mon deuil avec le personnage de papier que j’avais créé. Il y a quelque chose de libérateur et de thérapeutique dans cet acte. En mettant des mots sur des impressions, j’ai pris conscience des différentes formes que prenaient mon amour et ma douleur à travers le deuil, comme si je me regardais de l’extérieur.
Avec vos récits ainsi que le documentaire Simon & Marianne, votre histoire d’amour se prolonge dans l’art en quelque sorte. Selon vous, l’art permet-il de laisser une trace?
Les livres et le film ont été pour moi une manière de cristalliser des moments qui m’échappaient. Je perdais mon amoureux de plus en plus chaque jour et je sentais le temps me glisser entre les doigts comme du sable fin. C’est vertigineux! Les textes et les images me ramènent directement à une vérité que j’aurais de la difficulté à trouver tangible sans eux. Même si nous voulons garder les souvenirs intacts, la mémoire est faillible. Cette idée me faisait très peur et l’art a joué le rôle d’une pièce d’un musée où je pouvais réunir mes souvenirs pour y revenir. Et le fait que ce musée soit accessible aux autres me permet de poursuivre ma route avec Simon, de parler de lui tous les jours et de le faire découvrir à ceux qui ne l’ont pas connu. Quand une personne qu’on aime meurt, on a l’impression que son histoire s’arrête. Celle de Simon se poursuit grâce à l’art. C’est une grande chance pour moi d’avoir accès à lui de cette manière.
Comme vous vous adressez à lui dans vos récits, raconter votre histoire, était-ce une façon de poursuivre le dialogue avec Simon?
Les deux livres sont une adresse directe à Simon, deux lettres d’amour que je lui envoie. J’ai écrit Dans la lumière de notre ignorance alors qu’il était tout près de moi physiquement, mais éloigné par la maladie et les médicaments. Il dormait presque toute la journée et moi, je continuais à lui parler par l’intermédiaire de la littérature. Il était là, mais pas complètement lui-même. Je le retrouvais donc à l’écrit… Quand j’ai commencé Toi comme hier, Simon n’était plus là. C’est la mort, cette fois, qui nous éloignait. Mais je me sentais encore très près de lui, je sentais vivement sa présence en moi. Écrire m’a permis de discuter avec lui quand j’en avais envie, de passer du temps à ses côtés. Le dialogue se poursuit encore dans ma tête et je ne pense pas qu’il s’arrêtera un jour.
Même s’il est question de maladie, de mort et d’absence, vos récits sont empreints de beauté et d’amour. Diriez-vous que la lumière réussit toujours à se faufiler malgré tout?
N’est-ce pas ce que chante Leonard Cohen? « There is a crack in everything, that’s how the light gets in. » Nous ne pouvons véritablement voir et accueillir la lumière vive que lorsque nous nous trouvons dans la pénombre. Simon disait que sa dernière année avait été la plus belle de son existence, bien qu’elle ait été douloureuse et pénible. Il avait une conscience aiguë d’être en vie et cela teintait chaque moment du quotidien. Aux abords de la mort, il ne reste que le noyau, on n’a plus de temps ni d’énergie à consacrer au small talk. On va au fond des choses et des gens qui nous entourent. Les relations sont vraies, chaque mouvement est pensé et voulu. Tout a une valeur et on a l’impression d’avoir un superpouvoir, une sensibilité accrue à la beauté. L’amour, dans ces circonstances, devient sublime.
Comme ce sont deux récits intimes, très personnels, avez-vous hésité à publier votre histoire, à la rendre publique?
Dans la lumière de notre ignorance n’était pas destiné à être un livre au départ. J’écrivais pour Simon, pendant qu’il dormait, et, quand il se levait, il me demandait de lui lire le texte du jour. Il apprenait quotidiennement une partie de son histoire, avait accès à mon point de vue. Voyant qu’il aimait ça, j’ai continué l’exercice et au bout d’un an, il m’a dit : « Tu tiens un livre, Marianne. » Je n’y croyais pas, j’avais l’impression que le texte était trop personnel pour intéresser d’autres personnes que notre petit cercle. Yvon Rivard a été mon premier lecteur (après Simon) et il m’a dit que plus un texte était personnel, plus il était universel. Je m’en suis rendu compte quand le livre a été publié et que j’ai reçu de nombreux témoignages de lecteurs qui s’y sont reconnus. J’ai ressenti une chaleur, un soulagement d’appartenir à un vaste groupe de personnes qui vivaient un récit semblable. Dans les deux livres, j’évoque des moments difficiles, dans lesquels Simon et moi ne sommes pas toujours à notre meilleur, parce que c’est ça, la vie. Quand j’ai commencé à écrire Toi comme hier, j’ai choisi de poursuivre dans l’honnêteté, pour me rapprocher de la vérité. Et parce que les lecteurs méritent cela.
Photo : © Guillaume Boucher