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Marie-Chantale Perron relate la peine oubliée des belles-mères

Le Devoir Lire

« Cherche pas des histoires qui mettent en scène des belles-mères bienveillantes : y en a pas », s’indigne Marie-Chantal Perron, rencontrée dans l’atrium du Théâtre d’Aujourd’hui, à l’occasion de la parution de son roman Les douze mois de Marie. À ses côtés, Geneviève Boivin-Roussy, qui a signé les illustrations, nous rassure : il y a désormais un livre qui coiffe une belle-mère d’une aura positive, et ce livre, il est dans ses mains. « C’est un roman qui ouvre des portes », affirme-t-elle. Le projet a déjà dépassé les pages du livre, et une version radiothéâtrale est disponible sur OHdio. Il sera aussi mis en lecture cet été, sur quelques scènes québécoises.

Notre imaginaire collectif est lézardé de belles-mères viles et sournoises. Les personnages de Cendrillon, Blanche-Neige et Aurore, pour ne citer que quelques exemples, sont indissociables du courroux de leur marâtre. Or, même avec l’étiolement du modèle de la famille nucléaire, on n’a pas cru bon de créer des modèles inspirants de belles-mères.

C’est un déséquilibre que Marie-Chantal Perron s’est employée à corriger il y a quelques années, avec la parution de Copine et Copine, finaliste au littéraire du Gouverneur général en 2020, qui narrait la relation d’une jeune fille avec la blonde de son père. Les douze mois de Marie raconte le déchirement d’une femme qui peine à mettre le point final à une relation amoureuse, par peur de perdre le lien qui l’unit à la fille de son chum.

À l’origine du projet, Marie-Chantal Perron voulait explorer les vicissitudes d’une personne qui provoque la rupture amoureuse : « On parle rarement de la personne qui part, parce que c’est elle qui porte l’odieux. Toutes ses peines, tous ses deuils, tous ses enjeux sont un peu édulcorés parce qu’il y a d’autre monde qui souffre et qu’on s’occupe davantage de ces personnes-là. » Mais elle n’en avait pas fini de la beau-parentalité, « un sujet encore très neuf » et, ajoute-t-elle en sourdine, mettant l’accent sur l’embargo qui le régit, « un peu tabou ».

« Prunelle, ma belle-fille, si belle mais fille d’une autre, par ton arrivée dans ma vie, tu me sacres belle-mère sans être belle ni mère de personne », écrit-elle. La romancière a créé une belle-mère complice, amoureuse, sensible et fragile, à laquelle on peut s’identifier : « Marie fait partie de tous les baptistères des femmes baptisées du Québec. C’est la Marie qui est là pour tout le monde, qui subvient aux besoins, qui prévoit, qui soutient, qui aime même si c’est pas le sien, qui devra se détacher parce que c’est pas le sien. » Elle espère ainsi éveiller nos consciences à ces femmes « en désavantage généalogique », à leur amour non reconnu et à leur statut précaire.

Un livre d’art

Dix-neuf illustrations de Geneviève Boivin-Roussy coiffent le roman, offrant au lecteur une double immersion. Les univers des deux artistes s’imbriquent l’un dans l’autre, habités par une charge poétique et sensible aux textures multiples. Le résultat est si réussi que l’artiste visuelle s’étonne que la littérature n’emprunte pas plus souvent le chemin de la pluridisciplinarité : « C’est pas un roman graphique. C’est un roman illustré. C’est un objet étrange. On ne se permet pas cette fantaisie-là. Ça soutient tellement bien l’œuvre, le propos. Tu prends une pause dans l’illustration. Ça fait résonner les mots autrement. »

Il faut dire que le travail concerté des artistes repose d’abord sur une grande complicité. Marie-Chantal Perron s’enflamme : « J’ai rencontré cette magnifique pirate sur Toute la vie. Y a eu un délai sur le plateau de tournage, on s’est mises à parler. L’une finissait les phrases de l’autre, et là, je lui ai donné mon manuscrit. Elle l’a lu et m’a envoyé une première illustration. C’était parfait. » L’enthousiasme qu’elles partagent alimente d’ailleurs notre entretien, et l’illustratrice ne se fait pas prier pour renchérir : « On est tombées amoureuses. »

Pour s’immiscer dans l’univers de la romancière, l’artiste visuelle a retrouvé Marie-Chantal Perron dans son atelier : « Le but, c’était de partir de la matière. D’entrer dans l’univers de Marie et de se donner des codes communs. » Une expérience qui a laissé des traces : « Quand elle est partie, c’est comme s’il y avait eu une explosion. On avait tout sorti. Y avait du tissu partout. »

De son propre aveu, les illustrations ont mis en lumière des pans d’histoire que Marie-Chantal Perron n’avait pas saisi : « La pirate mettait le miroir sur mon histoire. On voyait mutuellement des choses dans le travail de l’autre. » Il en résulte une grande beauté, aussi puissante que vulnérable : « Marie coud son propre mensonge. On la comprend. De là la fragilité d’un tissu, d’une soie. J’ai voulu mettre des pansements pour faire tenir mes illustrations parce que ça tient, mais tout est fragile. »

De ce travail étant le résultat d’une si riche complicité, il ne faut donc pas s’étonner si le mot de la fin n’appartient pas à l’écrivaine, mais bien à l’artiste visuelle : « Tu nous laisses la place comme lecteur. Ça, c’est un grand cadeau. On le fait avec toi, le chemin. » Ce chemin, plongé dans la noirceur des années, s’ouvre enfin sur la lumière de la réconciliation. Et au bout, quelque part dans l’horizon, une belle-mère nous tend les bras.

 

Les douze mois de Marie

Marie-Chantal Perron, illustrations de Geneviève Boivin-Roussy, Éditions Mains libres, Montréal, 2022, 126 pages

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