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Marie-Ève Lacasse signe le roman d’une « dégringolade sociale »

 

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Avec son septième titre, La vie des gens libres, l’écrivaine d’origine gatinoise s’est « autorisée » une première « pure fiction ». À travers cette histoire de « dégringolade sociale », elle renoue avec le sujet qui l’« obsède depuis plusieurs livres » : les rapports de domination, quels qu’ils soient.

Clémence a été une médecin réputée dans le milieu pourtant cadré de la procréation assistée. Or, elle a commis une faute professionnelle très grave. Au point où la presse l’a surnommée Docteur Frankenstein lors de son procès. À sa sortie de prison, Clémence a tout perdu : son boulot, évidemment, mais aussi son , son fils, ses amis, sa maison. Sans oublier son statut social. Pour payer ses factures, elle devient femme de ménage.

La trajectoire en spirale de Clémence permet ainsi à Marie-Ève Lacasse d’explorer non seulement la domination économique entre patronnes et employée, mais aussi la domination du corps, tant par la science que par l’art.

Dominer par la science

Certes, il y a dans le geste de nettoyer une métaphore évidente du besoin de Clémence de faire le ménage dans sa vie. Ménage qui inclut de tenter d’enlever la tache liée à son désir de contourner ce que l’humain peut contrôler de l’incontrôlable de la nature.

J’aimais bien cette idée tabou de mégalomanie au sein d’une profession scientifique […], de vouloir trouver le médicament, le geste opératoire, le remède qui porterait son nom et qui permettrait donc d’entrer dans l’histoire de la médecine.

Une citation de Marie-Ève Lacasse, de La vie des gens libres

Tout ça parce que se mêlent en elle à la fois le désir de sauver ces femmes d’une certaine manière, de leur apporter la solution à leurs problèmes de stérilité et, en même temps, parce qu’elle est mue par le désir d’être connue, reconnue, renchérit-elle.

Outrepassant le cadre légal de ses activités, Clémence sera condamnée, emprisonnée, libérée, puis embauchée dans une agence d’entretien ménager. Un tel déclassement incarne une des plus grandes peurs de notre époque, souligne au passage Marie-Ève Lacasse. On est constamment aux prises avec la possibilité de basculer. On sait tous cela.

Dominer par l’économie

Dès lors, il devenait possible pour la romancière de mettre en lumière toutes les ambivalences d’une domination économique dans le lieu le plus intime qui soit : la maison.

La plupart des femmes qui embauchent des femmes de ménage dans ce roman tentent de contourner leur culpabilité en y injectant un peu d’amitié, de tendresse, de petits gestes, de petits cadeaux, de petites attentions. Mais il n’en reste que les rapports de domination existent, explique-t-elle. Elle-même étant une ancienne employeuse, soudain [Clémence] était capable de voir les deux mondes.

Cette dernière vit d’ailleurs un choc de classe à fréquenter les autres femmes de ménage et à vouloir échanger avec les nounous au parc, dont la majorité est issue de l’immigration. Autant de gens que Clémence regardait de haut à une autre époque de sa vie.

Son héroïne prend ainsi conscience qu’elle a encore des privilèges du fait d’être blanche, de s’appeler Clémence, de parler français et d’avoir un passeport européen, énumère la Gatinoise d’origine.

Portrait de Marie-Eve Lacasse qui fixe la caméra, la tête appuyée sur les jointures de sa main droite.

Après avoir signé des autofictions, dont «Autobiographie de l’étranger» et «Les manquants», Marie-Ève Lacasse propose cette fois un roman de «pure fiction».

Photo : Éditions du / Alexandre de Bellefeuille

Établie en depuis plus de 20 ans maintenant, Marie-Ève Lacasse raconte s’être inspirée de ses propres expériences de nounou auprès de familles fortunées, à son arrivée là-bas, pour nourrir son personnage.

Je suis sensible à la condition des femmes de ménage et de toutes les personnes qui sont précaires, parce que j’ai quand même, à ma petite échelle, vécu dans ces franges de la population pendant un petit moment de ma vie, soutient-elle.

Dominer par la danse

D’un côté, Clémence a les deux mains à la tâche, entre autres dans des cercles bourgeois au sein desquels elle a déjà évolué.

De l’autre, son chemin télescope celui de Laura, maman célibataire d’une fillette malentendante. Cette femme – d’apparence froide, quasi antipathique a priori – trouve dans la danse classique non pas un refuge ou une soupape, mais bien une façon de garder le contrôle sur son corps.

Marie-Ève Lacasse reconnaît que le rapport au corps, dans son roman, relève d’une tentative de contrôle. Un contrôle monstrueux de la part de Clémence. Et un combat de tous les instants sous forme de discipline extrême, limite un peu anorexique pour Laura.

Je trouve que les femmes, on est quand même ramenées au corps en permanence et, donc, assez obsédées par ça. […] Il faudrait vivre au-delà de ça, s’en foutre, mais, en tout cas dans ce livre, c’est une obsession sourde.

Une citation de Marie-Ève Lacasse, autrice

Cette obsession passe ici par les vêtements empruntés par Clémence pour ne pas trahir sa condition et par les cigarettes fumées compulsivement par Laura pour trahir la faim, par exemple.

Chacune cherche toutefois à s’en affranchir, à toucher au bonheur, au meilleur de ce qu’elles sont.

Je crois que la relation entre elles met en lumière une forme de tendresse et, je pense, une forme d’espoir, fait valoir la Gatinoise d’origine. C’est vraiment difficile de conquérir sa liberté. […] Je crois que ces personnages sont sur le chemin d’une émancipation. Ce n’est pas tout à fait complété, mais on sent que c’est en devenir.

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