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Mélikah Abdelmoumen, fière défenseuse de l’écriture au « je »

 

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Source du texte: Lecture

L’autrice Mélikah Abdelmoumen

Photo : Productions Rhizome

Lisa Marie Noël

L’autrice et rédactrice en chef de la revue Lettres québécoises, Mélikah Abdelmoumen, s’intéresse au récit, ou ce qu’on appelle maintenant les écritures du réel. Elle l’a étudié, elle l’écrit et elle le jugera bientôt puisqu’elle est une des trois membres du jury du du récit de Radio-Canada.

Mélikah Abdelmoumen défend bec et ongle ce genre littéraire trop souvent victime de préjugés et de commentaires condescendants. Le prix Nobel cette année, c’était du récit! souligne-t-elle, non sans une pointe de fierté.

Elle rabroue ceux et celles qui accusent le récit d’être narcissique. Pour moi, écrire c’est nommer le monde, essayer de le comprendre, essayer de rendre compte de notre regard et de se rendre compte qu’on n’est pas seule à l’avoir. L’écriture au ”je” est loin d’être narcissique et tournée vers soi. Elle est comme une main tendue au lecteur pour trouver des points où on se rejoint, où on se ressemble, dit-elle.

Elle considère le récit comme un genre hybride qui ouvre la porte à tous les autres. Elle apprécie cette grande liberté. Son dernier livre, par exemple, Baldwin Styron et moi, publié en 2022 à la maison d’édition Mémoire d’encrier, a été classé comme , mais il aurait très bien pu être un récit politique, croit-elle.

Dans cette œuvre, elle réfléchit à sa propre identité en parallèle à sa découverte de deux auteurs américains, James Baldwin, afro-descendant engagé dans la lutte pour les droits civiques, et son ami, le populaire William Styron, auteur notamment du livre à succès Le choix de . Leur amitié sera à l’origine d’un des premiers scandales entourant l’appropriation culturelle dans les années 1960. Un sujet qui est encore aujourd’hui drôlement dans l’air du temps et qui la fascine.

Styron, écrivain blanc, entreprend d’écrire l’histoire de Nat Turner, un esclave à l’origine d’un soulèvement en Virginie au 19e siècle. Baldwin lui suggère alors d’être le propre narrateur pour donner au texte plus d’effet. L’écrivain blanc écrit donc au je l’histoire d’un esclave noir. Ce qui engendre la controverse.

L’héritage d’un nom

Par le récit de cette histoire, Mélikah Abdelmoumen ne peut s’empêcher de tracer des liens avec sa propre histoire.

« On est très nombreux, nous les Québécois, à qui on a collé des étiquettes comme quoi on ne serait pas de vrais Québécois parce qu’on a telle couleur de peau ou tel nom de famille. »

— Une citation de  Mélikah Abdelmoumen

Il lui arrive souvent de sentir son nom de famille comme un poids. Mélikah Abdelmoumen est née à d’une mère saguenéenne militante pour le Parti québécois et d’un père d’origine tunisienne qui a choisi de s’enraciner au Québec. La famille déménage à lorsqu’elle a 4 ans. Dix ans plus tard, ses parents se séparent. Son père retourne vivre en . Elle visite régulièrement sa famille au Saguenay ainsi que son père à .

Portrait en couleur. La femme porte une chemisier noir et un collier, elle a le visage tourné de trois-quarts et ne regarde pas la caméra.

L’autrice et éditrice Mélikah Abdelmoumen

Photo : Blanches bulles photographie

En 1992, elle entreprend des études en lettres. Elle rédige son mémoire sur l’autobiographie et George Sand, puis sa thèse sur Serge Doubrovsky, le créateur du terme autofiction.

À 33 ans, elle s’exile vers avec son amoureux français. De ce long séjour résulte le récit Douze ans en France, dans lequel elle raconte le climat politique et les clivages sociaux étouffants.

« Ça ne m’a pas empêchée de me faire des racines. Je m’y sens chez moi, mais le discours ambiant et l’air du temps n’est pas propice quand tu t’appelles Abdelmoumen…  »

— Une citation de  Mélikah Abdelmoumen

Face au racisme et à la montée des discours haineux dans son pays d’adoption, elle pousse sa réflexion sur l’identité. Elle sent une convergence des luttes entre les personnes arabes et noires. Je ne me sentais pas arabe avant qu’on me le dise que j’étais arabe. Moi, je suis dans ma tête!

Hors de l’agitation quotidienne

De retour au Québec depuis cinq ans, Mélikah Abdelmoumen a été éditrice au Groupe Ville-Marie Littérature. Elle est maintenant rédactrice en chef de la revue Lettres québécoises depuis un an.

Les revues ont toujours été pour moi des lieux de résistance. On n’y pense pas au même rythme, hors de l’espèce de bruit de fond quotidien avec lequel on est tous pris […] J’adore ça.

Loin des impératifs de l’actualité quotidienne, les magazines ont le loisir de provoquer des rencontres et de se pencher sur des questions selon une autre temporalité. Et c’est désespérément nécessaire dans cette ère où l’opinion sans nuance synthétisée en une phrase-choc est la norme. Cela favorise la polarisation, et non la discussion.

« Le problème est que ça prend quelques minutes pour écrire n’importe quoi sur un coin de table pour crinquer les gens. Décrinquer les gens et dire des choses vraies, ça prend de la recherche, du temps et des textes plus longs.  »

— Une citation de  Mélikah Abdelmoumen

L’autrice qui ne gagnait jamais, ou presque

Mélikah Abdelmoumen a déjà participé à quelques concours ou prix littéraires. Je suis une fille qui ne gagne à peu près jamais rien , dit-elle. Sauf récemment. Elle a reçu le prix Pierre-Vadeboncoeur de la CSN pour Baldwin Styron et moi. Même si cette reconnaissance lui fait un grand plaisir, elle est consciente de la subjectivité des concours.

Elle sourit au micro.

Mélikah Abdelmoumen lors d’une entrevue en 2018 au micro de « Plus on est de fou, plus on lit »

Photo : Radio-Canada / Hamza Abouelouafaa

D’ailleurs, elle tient à ce que tous les participants et participantes à un concours littéraire gardent cette notion de subjectivité en tête.

« Il ne faudrait pas que les gens qui ne gagnent jamais pensent que leurs œuvres ne sont pas valables. »

— Une citation de  Mélikah Abdelmoumen

En plus d’être membre du jury pour le Prix du récit, Mélikah Abdelmoumen finalise un essai sur l’engagement qui sera publié à Atelier 10. Elle y parle de trois générations de femmes engagées : sa grand-mère, sa mère et elle-même.

Elle poursuit l’écriture d’un livre de fiction, commencé en 2014. Cette fois, elle fait dans le roman noir à saveur de social. L’action se déroule dans un pays qui n’existe pas et tourne autour des questions de l’expression de l’extrême droite et de la haine dans une certaine indifférence.

Il y a aussi, au courant de l’hiver, la lecture du spectacle Baldwin, Styron et moi dans différentes maisons de la culture de Montréal.

Véritable tremplin pour les écrivaines et écrivains canadiens, les Prix de la création Radio-Canada sont ouverts à toute personne qui écrit, de façon amateur ou professionnelle. Ils récompensent chaque année les meilleurs récits (histoires vécues), nouvelles et poèmes inédits soumis au concours.

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