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Mélikah Abdelmoumen | Petite-Ville, grande misère

Paru en premier sur (source): journal La Presse

Mélikah Abdelmoumen emploie les ressorts du afin d’épingler ce que l’écosystème médiatique occidental a de plus inquiétant. Incursion dans Petite-Ville, un monde où, pendant que des chroniqueurs se lancent de la boue, les pauvres demeurent pauvres.


Publié à 0h59

Mis à jour à 7h00

Mélikah Abdelmoumen se souvient très bien, trop bien, du jour où le chroniqueur d’un grand quotidien montréalais a répondu par un billet de blogue au ton cinglant à un tweet dans lequel elle se désolait que l’immigration soit à chaque campagne électorale brandie comme un « hochet ».

Dans toutes ses boîtes de messagerie, comme dans la boîte courriel de Lettres québécoises, la revue qu’elle dirige : torrent de haine. Des menaces de mort, parce qu’elle en a reçu, confie-t-elle, ça ne s’oublie pas.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Mélikah Abdelmoumen en entrevue

« Et tu vois, il y a quelqu’un sur Facebook à qui j’avais répondu en lui expliquant ce que je voulais dire par mon tweet. J’ai démonté sa rage et il a fini par s’excuser », raconte-t-elle en faisant de grands gestes de ses mains, comme elle en a l’habitude quand un sujet la passionne ou l’interpelle, ce qui n’est pas rare.

« Mais combien il a de lecteurs, ce chroniqueur ? Vingt mille ? Je ne peux pas décrinquer 20 000 lecteurs un à la fois ! Les forces ne sont pas égales entre moi, petite écrivaine, et lui, chroniqueur qui bénéficie de tout un système. »

Un symptôme

Dans Petite-Ville, nouveau roman de celle dont le premier livre, Chair d’assaut, remonte déjà à 1999, les crinqués ne sont malheureusement pas aussi parlables que celui que Mélikah Abdelmoumen est parvenue à faire descendre des rideaux dans lesquels il était grimpé.

Simon James, un journaliste de combat, est retrouvé mort, dans des circonstances forcément nébuleuses, mais qui semblent liées à sa querelle médiatique avec Renaud Michel, un omnicommentateur, du genre à plastronner et à couper la parole à tout le monde.

Il y a longtemps que l’autrice née à Chicoutimi en 1979 rêvait à un polar, dans tout ce que le genre peut avoir de social, comme ceux de James Ellroy, James Lee Burke ou James Sallis. « Le polar, c’est une manière de dire le monde, de le critiquer, de nommer ses laideurs et ses beautés », observe-t-elle, heureuse de renouer avec la fiction après un détour par l’, avec Les engagements ordinaires (2023) et Baldwin, Styron et moi (2021), sa riche célébration du pont que peut devenir la littérature pour des gens qui devraient être ennemis.

Malgré ses clins d’œil à notre ici et maintenant, Petite-Ville n’a pourtant rien d’un roman à clés dans lequel le jeu consisterait à identifier le vrai chroniqueur qui se cache sous les traits de Renaud Michel.

« Ce personnage de polémiste est né de ce que j’ai vu en France, dans les chaînes d’information en continu », précise celle qui a vécu à Lyon de 2005 à 2017, mais qui a choisi de camper cette histoire au cœur d’un lieu imaginaire dans lequel se profilent tant les banlieues françaises et les projects de Chicago que le Montréal-Nord des apparts surpeuplés et une Louisiane grouillante de crocos. « Ça ne date pas d’hier, les propos outranciers, spectaculaires, sans souci de la vérité ou de la mesure. »

« Mais mon Renaud Michel n’est qu’un symptôme d’un système, insiste-t-elle, où le politique se plie au médiatique, qui lui-même se plie aux attentes financières de ses propriétaires, qui elles-mêmes sont de plus en plus dictées par les GAFAM. C’est un truc tentaculaire qui, dans la vraie vie, finit par avoir des effets graves. »

Sortir de son regard

Comme elle travaille fort à ne pas reproduire ce qu’elle reproche aux autres, et qu’elle a fait vœu de ne plus ferrailler sur les réseaux sociaux avec ses adversaires, Mélikah Abdelmoumen a donc imaginé un Renaud Michel certes enivré par le son de sa propre voix, mais qui, face à la tragédie, sera ramené à ce que son humanité a de plus noble. Tristesse, empathie, introspection.

Au lieu de leur répondre sur Facebook, maintenant, j’écris des livres.

Mélikah Abdelmoumen

« Des livres où je m’efforce de ne pas faire de ces gens des caricatures, explique-t-elle. Et ça aurait été facile d’en faire une caricature, Renaud Michel. Mais ça aurait été d’une grande malhonnêteté intellectuelle. Il fallait que je sorte du regard de mon clan. »

Son Simon James, dont la gouaille lui a été inspirée par l’humoriste américain Jon Stewart, n’est pas non plus quelqu’un qu’on pourrait qualifier de parfait, une façon pour l’autrice de rappeler « que la droite s’arroge parfois le monopole de la raison et que la gauche s’arroge parfois le monopole de la vertu et que dans les deux cas, c’est un raccourci ».

Au-delà de son fort sous-texte sociopolitique, Petite-Ville est aussi le roman du dialogue avec nos morts, celui que continuera d’avoir sa narratrice Mia avec Simon James, eux qui, enfants, ont tous les deux été rescapés de la grande misère par la même mère Courage. Dans son récit Douze ans en France (2018), Mélikah Abdelmoumen racontait son amitié avec une famille rom dont elle est demeurée proche.

« Je sais que l’aide que je leur offre n’est qu’un sparadrap, dit-elle, mais c’est ce que je fais de concret, pendant que de manière plus abstraite, je mets dans mes livres toutes les questions que tu te poses quand tu fréquentes la grande pauvreté et que tu vois que tout le monde autour s’en fout. »

Petite-Ville

Petite-Ville

Mélikah Abdelmoumen

Mémoire d’encrier

305 pages

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