Paru en premier sur (source): journal La Presse
Ils écrivent à deux depuis près de 20 ans, à raison de plus d’un roman par an. Des polars historiques et ésotériques qui cumulent les trois millions de lecteurs à ce jour et sont traduits dans plus d’une quinzaine de langues.
Publié à 1h28
Mis à jour à 7h00
On rencontre les écrivains français Éric Giacometti et Jacques Ravenne alors qu’ils sont de passage – pour la toute première fois – au Québec en juin, le temps de quelques évènements en librairie pour présenter le dernier-né de leur série autour du policier franc-maçon Antoine Marcas, La clef et la croix.
À les voir se renvoyer les blagues et compléter la pensée de l’autre, on voit tout de suite qu’ils s’entendent comme larrons en foire. Une union assez extraordinaire en soi, puisque si les duos sont assez courants chez les auteurs de polars, ils sont les seuls en France parmi leurs contemporains — mais surtout les seuls à durer depuis aussi longtemps.
« On a tout à fait confiance dans le regard de l’autre, dit Jacques Ravenne, parce qu’on sait qu’un écrivain qui écrit seul, quand il est mal parti, il va jusqu’au bout et le bouquin est mauvais. On écoute toujours avec intérêt la prise de position de l’autre, on ne discute jamais. Quand Éric dit qu’il faut refaire le chapitre, il faut le refaire. »
C’est une vieille histoire d’amitié qui aurait perduré même s’il n’y avait pas eu les livres.
Jacques Ravenne
Il faut dire que les deux romanciers se connaissent depuis les bancs d’école, à Toulouse. « À l’époque, intervient Éric Giacometti, nous lisions les mêmes livres sur les mystères, les Templiers, le Graal, et on y croyait vraiment. Toulouse est à côté de départements régionaux qui sont menés par des légendes comme celle des Cathares, par exemple. Et pendant plusieurs années, on est allé faire des fouilles. »
Un tournant décisif
Des années plus tard, ils croyaient « un peu moins » à ces légendes et avaient pris des chemins différents, sans se perdre de vue pour autant. D’abord enseignant de français puis chercheur en littérature, Jacques Ravenne s’était tourné vers la politique, tandis qu’Éric Giacometti avait une carrière journalistique toute tracée. Après une série d’articles qu’il a écrits et qui mettaient à mal la franc-maçonnerie, son vieil ami, lui-même franc-maçon, s’est mis en tête de l’« éclairer » sur une autre facette de la confrérie.
C’est de là que leur est venue l’idée de créer un personnage de héros franc-maçon policier, « qui puisse permettre au lecteur qui n’est pas franc-maçon de voir ce qui se passe en loge », explique Éric Giacometti.
PHOTO FLORIAN LEROY, COLLABORATION SPÉCIALE
Éric Giacometti et Jacques Ravenne
Le succès de leurs romans aidant, ils disent rapidement adieu au journalisme et à la politique pour écrire le genre de livres qu’ils ont toujours aimé lire. Des histoires de mystères et de légendes anciennes, qui cherchent à surprendre les lecteurs et à les entraîner hors de leur zone de confort, selon l’ancien journaliste.
Dans La clef et la croix, on se retrouve d’un côté en 1809, dans l’entourage de Napoléon, à l’époque où celui-ci fait emprisonner le pape ; de l’autre, on suit de nos jours la quête du policier Antoine Marcas sur les traces d’un mystérieux aïeul, Tristan Marcas, qui le mènera jusqu’au parc des Monstres, non loin de Rome, alors qu’un riche magnat de la mode meurt dans des circonstances suspectes.
Plus de 80 % des faits historiques sont vrais dans la partie sur Napoléon, avance Jacques Ravenne. Et si c’est lui le passionné d’histoire, alors qu’Éric Giacometti se plaît plutôt à insérer des références technologiques ou scientifiques à la partie contemporaine du roman, tous les deux écrivent en parallèle sur les deux lignes narratives qu’ils choisissent pour chaque roman, puis s’échangent les textes afin de limiter les variations de style et d’adapter l’évolution des personnages.
PHOTO FLORIAN LEROY, COLLABORATION SPÉCIALE
Éric Giacometti et Jacques Ravenne
Dans chacun de leurs romans avec Antoine Marcas (ils ont également une série avec Tristan Marcas durant la Seconde Guerre mondiale), l’énigme varie, mais la quête d’Antoine demeure, nous révélant chaque fois un nouveau morceau du casse-tête concernant son aïeul.
Chaque roman remonte un fil ; et on a encore au moins assez de thématiques pour écrire 10 autres romans !
Éric Giacometti
« Ce qu’on essaie toujours, c’est de faire connaître aux lecteurs des endroits ou des histoires qui sont peu connus, mais qui nous ont marqués, ajoute-t-il. » Des lieux et des récits insolites qu’ils découvrent au gré de leurs voyages, comme ça a été le cas au Québec.
Et sans vouloir nous en dévoiler davantage, ils nous assurent avoir déjà trouvé matière à plus d’un roman lors de leur découverte de la Belle Province, qui devrait tôt ou tard appartenir au décor d’une nouvelle intrigue. À suivre.

La clef et la croix
JC Lattès
450 pages
Des duos fréquents… et parfois célèbres
Le polar est un genre qui se prête bien à la collaboration entre auteurs ; ces dernières années, beaucoup de romanciers ont uni leur plume à celle d’autres écrivains ou d’experts le temps d’un livre — ou plus. La Suédoise Camilla Läckberg a fait appel au mentaliste Henrik Fexeus pour sa trilogie avec la détective Mina Dahbiri et l’expert en magie Vincent Walder. On pense aussi à Louise Penny, qui a coécrit État de terreur avec Hillary Clinton, ou encore à James Patterson, qui a signé deux titres avec Bill Clinton (Le président a disparu et La fille du président). Et derrière le pseudonyme de Lars Kepler se trouve depuis 15 ans le couple d’auteurs suédois Alexandra Coelho Ahndoril et Alexander Ahndoril, qui ont signé neuf enquêtes autour de l’inspecteur Joona Linna, dont L’araignée (publié en français en mars dernier). Parmi les autres nouveautés des derniers mois, les Norvégiens Jørn Lier Horst et Thomas Enger ont fait paraître ensemble l’hiver dernier Que le meilleur gagne, une collaboration qui leur a permis d’allier l’expérience d’enquêteur du premier à celle de journaliste d’enquête du second. Et tout récemment, en mai, est paru Le Steve McQueen, un thriller franco-britannique coécrit par deux grands noms du polar, Caryl Férey et Tim Willocks, qui – fait inusité – ont rédigé leurs chapitres chacun dans sa langue.
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IMAGE FOURNIE PAR L’ÉDITEUR
Que le meilleur gagne, Jørn Lier Horst et Thomas Enger (traduit par Marie-Caroline Aubert), Gallimard, 506 pages
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IMAGE FOURNIE PAR L’ÉDITEUR
Le Steve McQueen, Tim Willocks et Caryl Férey (partie anglaise traduite par Benjamin Legrand), Points, 165 pages
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IMAGE FOURNIE PAR L’ÉDITEUR
L’araignée, Lars Kepler (traduit par Marianne Ségol-Samoy), Actes Sud, 532 pages