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Notre sélection bédé du mois de septembre

Source : Le Devoir

L’exploration est le sport du savant

Nous connaissions l’auteur et illustrateur français Jean-Yves Duhoo pour, entre autres, son excellent album consacré aux grands laboratoires scientifiques français. Avec Un, deux, trois Piccard, c’est maintenant à ceux qui ont fait l’histoire de la science qu’il s’intéresse, particulièrement à la lignée de la famille de scientifiques d’origine suisse, les Piccard. Si le nom vous est familier, c’est qu’Auguste a servi de modèle au fameux Tryphon Tournesol de Tintin, et le nom de famille a été repris pour le très célèbre personnage de Jean-Luc Picard (avec un c en moins), capitaine de l’Enterprise de la série Star Trek: The Next Generation. Bref, nous avons eu beaucoup de plaisir à nous plonger dans cet album, qui raconte comment les Piccard ont réussi à monter les premiers dans la stratosphère, à descendre à 10 000 mètres au fond des mers et à faire le tour du monde en ballon. Réjouissant, drôle et bien documenté !

François Lemay

Un, deux, trois Piccard. Pionniers du ciel et des abysses

Jean-Yves Duhoo, Dargaud, Bruxelles, 197 pages

Rouge colère

Avec Rouge signal, l’autrice française Laurie Agusti nous fait pénétrer, petit à petit, dans la tête d’Alexandre, représentant en produits artistiques, enfermé dans une vie totalement insatisfaisante, tant socialement qu’amoureusement. D’un autre côté, nous sommes amenés à fréquenter un salon de beauté dans lequel les employées, toutes des femmes, racontent entre autres leur quotidien amoureux. Et il y a cette fissure entre les deux univers, une fissure qui aliène et mène à l’incompréhension et à la violence. Et il y a Alexandre, qui commence à croire son ami masculiniste et à fréquenter les influenceurs qui prônent, en ligne, la venue du mâle alpha. Le dessin est magnifique. Le découpage est créatif et le récit, lui, tout à fait solide. Parce que même si nous connaissions le sujet de l’album, nous nous sommes pris au jeu de la lente descente d’Alexandre, coincé entre les sophismes masculinistes (on vous enlève le droit d’être un homme !), et son désir d’entrer en relation. Vraiment brillant.

François Lemay

Rouge signal

Laurie Agusti, Éditions 2042, Strasbourg, 200 pages

Quand le totalitarisme s’invite au travail

Le bédéiste québécois Philippe Girard relève un défi de taille en adaptant en roman graphique l’essai-choc de Johann Chapoutot, grand spécialiste des idéologies fascistes. Le scénario se déploie sur deux époques. D’un côté, il y a l’enquête sur Reinhard Höhn, ancien général SS devenu promoteur des pratiques de gestion nazies, et de l’autre, le récit contemporain de Florence et Annie, cadres en proie à la souffrance au travail. Ce va-et-vient entre passé et présent montre combien l’autonomie affichée n’est qu’une servitude déguisée, une mécanique de déshumanisation héritée des théories néolibérales nourries par les principes du IIIe Reich. Le dessin, aux lignes claires et aux aplats de couleurs franches, multiplie les références graphiques à l’iconographie nationale-socialiste et aux codes de la publicité moderne. Son esthétique, à la fois sobre et incisive, révèle la violence glaciale des processus de contrôle. Rarement une adaptation aura rendu aussi tangible le lien oppressant entre pensée totalitaire et modes de gestion qui ont façonné des milliers d’entreprises depuis la seconde moitié du XXᵉ siècle.

Ismaël Houdassine

Libres d’obéir

Philippe Girard et Johann Chapoutot, Casterman, Paris, 2025, 136 pages

À lire aussi

Mégalomanie littéraire

Fabien Nury et Brüno livrent un récit hypnotique qui brouille les frontières entre polar et fantastique. Au cœur du Los Angeles de l’après-guerre, l’agent littéraire Morris Millman croise son idole déchue, l’écrivain Wilbur H. Arbogast. Ce dernier lui promet un manuscrit capable de rendre fou, si ce n’est pire. Millman, aveuglé par l’appât du gain, croit flairer un chef-d’œuvre à vendre aux studios hollywoodiens. Mais derrière ce texte maudit, Arbogast rêve d’édifier bien plus qu’une œuvre, une bible, une religion, un empire spirituel. Le scénariste Nury nous entraîne dans l’âme corrompue d’un créateur mégalomane où se mêlent psychanalyse, hypnose et mysticisme sectaire, tandis que Brüno impose son style singulier, ligne claire tranchante, noirs profonds et cadrages d’une rigueur cinématographique. Le contraste entre ombre et lumière donne à chaque planche une puissance dramatique qui évoque l’âge d’or du film noir et l’imagerie pulp. Dans la lignée de Philip K. Dick et de Stephen King, l’œuvre déploie une méditation vertigineuse sur le pouvoir des récits, capables tout autant d’asservir les esprits que de les émanciper. Un premier tome élégant, inquiétant et envoûtant.

Ismaël Houdassine

Electric Miles, tome 1

Fabien Nury et Brüno, Glénat, Paris, 2025, 104 pages

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