Paru en premier sur (source): journal La Presse
Publié à 12 h 00
Dans Le temps d’après, voilà déjà 15 ans qu’Eva et Nell vivent en autarcie dans la nature et élèvent seules le petit Burl. Mais celui-ci, devenu adolescent, commence à éprouver le désir d’aller à la rencontre des gens qui habitent à l’extérieur de leur forêt — malgré les mises en garde de ses mères qui ont renoncé aux autres pour se protéger.
« Lorsque j’ai écrit Dans la forêt, l’une des choses que je voulais explorer était la relation des êtres humains avec le monde naturel et la nature. Avec Le temps d’après, je cherchais en quelque sorte à explorer l’humanité : pourquoi et comment avons-nous besoin les uns des autres ? », explique Jean Hegland.
Le temps d’après se dévoile petit à petit comme un roman d’apprentissage narré par Burl lui-même, dans la langue particulière qu’il a développée en grandissant dans un isolement quasi total avec ses deux mères.
« La plupart des adolescents – peu importe à quel point leur vie à la maison est riche et pleine d’amour – veulent explorer ce qu’il y a ailleurs. »
Dans le cas de Burl, cette envie vient en partie de toutes les histoires qui lui ont été racontées ; mais c’est aussi parce que nous sommes des animaux sociaux et que nous sommes généralement portés à établir des liens avec d’autres personnes.
Jean Hegland
Un nouveau monde
À travers les yeux de Burl, Jean Hegland nous donne un aperçu des poches de société qui subsistent dans ce nouveau monde cruel et laissé à lui-même. Elle nous montre aussi comment ses mères et lui ont dû s’adapter aux effets des changements climatiques, comme la sécheresse, qui affectent leur vie dans la forêt. Des conséquences désastreuses dont l’écrivaine a elle-même été directement témoin…
Il y a quatre ans, la maison où elle habitait avec son mari depuis 30 ans a été complètement détruite par des incendies de forêt qui ont ravagé des secteurs du nord de la Californie. Cette maison en forêt avait d’ailleurs inspiré le décor de son roman Dans la forêt, raconte-t-elle.
« On a pu voir de nos propres yeux comment l’un de ces méga-incendies provoqués par les changements climatiques a gravement endommagé la forêt. Mais on voit également comment la nature revient dans notre forêt. On a décidé de ne pas reconstruire parce qu’on ne voulait pas transformer la forêt en chantier de construction après qu’elle avait été si gravement brûlée. La première chose que j’ai faite a été d’installer une grande yourte en toile pour que je puisse y aller et écrire. Et maintenant, nous avons une petite caravane pour pouvoir y retourner et y passer du temps. La forêt repousse », dit-elle avec optimisme.
Car oui, même si le portrait de l’humanité qu’elle brosse dans Le temps d’après peut sembler dur, Jean Hegland persiste à dire qu’elle est optimiste pour notre avenir — un optimisme mesuré, cela dit. Parce qu’on ne vit pas dans un conte de fées où tout est bien qui finit bien, insiste-t-elle.
À Chico, ville au nord de Sacramento où elle s’est installée après avoir quitté sa forêt, un incendie s’est déclaré à un kilomètre et demi de chez elle l’été dernier, brûlant un demi-million d’acres. Et avec un président tout récemment réélu qui a fait sortir les États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat, en plus d’encourager le forage pétrolier, le contexte est « tout simplement épouvantable, incroyable et scandaleux », selon elle.
« Je vous promets que nous ferons tout notre possible pour l’arrêter, lance-t-elle. On est dans une mauvaise situation en ce moment. Politiquement, du côté des changements climatiques, nous avons de très nombreuses raisons de nous inquiéter et nous n’avons pas la moindre garantie que tout se passera bien. »
« Mais je pense que nous avons malgré tout de très bonnes raisons d’être optimistes, ajoute-t-elle. La nature est très résiliente malgré tout ce que nous lui avons fait subir. Si on lui donne une demi-chance, elle trouve un moyen de revenir et de s’adapter, donc je crois qu’il y a beaucoup d’espoir. Et je pense que même si les êtres humains peuvent être des monstres les uns envers les autres et envers le monde, il y a tellement de gens qui sont si courageux et généreux que nous ne pouvons pas abandonner ces gens. »
Et c’est pourquoi, d’ailleurs, Le temps d’après finit sur une note d’espoir. Qui sait, peut-être retrouverons-nous Burl dans quelques années, dans un monde complètement différent. « On m’en parle beaucoup. Mais on verra si je peux réussir à écrire une nouvelle suite », dit Jean Hegland en riant.
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Le temps d’après
Gallmeister
352 pages