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Parcourir l’Asie en 4 livres

 

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Source du texte: Lecture

En ce Mois du patrimoine asiatique, voici quatre auteurs vous invitant à découvrir les multiples visages de ce vaste continent. De la Corée du Sud au Sri Lanka, en passant par l’Inde et Hong Kong, leurs livres vous entraîneront aux quatre coins de l’Asie.


Corée du Sud : révéler le passé

Le livre «Impossibles adieux» de Han Kang aux côtés d'une assiette, d'une tasse et d'une théière.

À travers les bourrasques de neige, Han Kang découvre un pan longtemps enfoui de l’histoire de son pays.

Photo : Radio-Canada / Valérie Lessard

La Sud-Coréenne Han Kang a été couronnée du prix Nobel de littérature, l’an dernier, pour l’ensemble de son œuvre.

Son premier roman traduit en français en 2015, La végétarienne, lui a permis de se faire (re)connaître sur la scène internationale et de décrocher le prix Booker en 2016.

Impossibles adieux, son plus récent titre traduit dans la langue de Molière, aborde avec autant de délicatesse que de courage le massacre longtemps occulté de 30 000 personnes à la fin des années 1940, sur l’île de Jeju, dans le sud du pays.

Délicatesse, parce que c’est d’abord par la relation d’amitié unissant ses deux protagonistes que l’écrivaine nous entraîne dans une maison isolée de ladite île, en plein cœur d’une tempête de neige. Inseon étant hospitalisée d’urgence à Séoul, elle demande à Gyeongha de se rendre chez elle pour prendre soin de son perroquet pendant son absence. Or, la neige non seulement complique ses déplacements, mais elle crée une atmosphère trouble, onirique à souhait.

Quand les flocons tombent du vide aussi lentement que l’éternité, ce qui est important et ce qui ne l’est pas se distinguent soudain parfaitement. Certaines choses deviennent effroyablement claires. La douleur, par exemple.

Une citation de Extrait d’Impossibles adieux de Han Kang

Courage, ensuite, parce que dès que Gyeongha se retrouve dans la chaumière de son amie, tout se met vraiment à osciller entre danger et rêve, ombres et lumière, hier et aujourd’hui. Des fantômes prennent vie, incluant celui de la mère d’Inseon, dont la vraie nature se révèle peu à peu.

À travers les rafales et le blanc parfois aveuglant de la neige, Han Kang lève le voile sur la vérité crue et cruelle d’un passé des plus douloureux. La quinquagénaire y parvient par petites touches impressionnistes qui, tout en laissant voir la noirceur du drame, se teintent d’humanité, de résilience et de quête de vérité.

Han Kang a également obtenu le prix Médicis du roman étranger pour Impossibles adieux en novembre 2023, en plus de décrocher le prix Guimet de littérature asiatique en février 2024.


Chine et Canada : exposer les clichés orientalistes

Le livre «Tu manges une orange. Tu es nue.» de Sheung-King déposé sur un bol entouré d'oranges.

Le Sino-Canadien Sheung-King signe un fascinant premier roman mariant dialogues de théâtre et contes orientaux à un ton proche de l’essai, par moments.

Photo : Radio-Canada / Valérie Lessard

Le titre du premier roman d’Aaron Tang, alias Sheung-King, renvoie au portrait que son héros croque de la femme qu’il aime : Tu manges une orange. Tu es nue.

Il donne également le ton à l’étonnante expérience de lecture que le Sino-Canadien propose, passant d’un regard incisif à des élans lyriques, des dialogues atypiques et des contes métaphoriques, pour ne pas dire métaphysiques.

L’histoire du couple que Sheung-King met en scène se lit comme on ouvre une boîte de photos soigneusement accumulées mais pêle-mêle : avec une curieuse impression d’être face à des éléments a priori disparates, dont tous les éléments finissent néanmoins par former un tout à la fois ludique et édifiant.

Ces instantanés servent surtout de liant entre ses deux personnages pour mieux en faire un portrait, entre contours abstraits et traits de caractère précis. Certaines images surréalistes demeurent donc délibérément floues et sujettes à interprétation, se jouant des frontières entre réel et fiction, tandis que d’autres s’avèrent d’une netteté décillante.

Car au passage, l’auteur né à Vancouver et ayant grandi à Hong Kong expose, voire dénonce plusieurs clichés aux relents d’orientalisme, entretenus par les films hollywoodiens (Lost In Translation de Sofia Coppola, par exemple) ou dans les restaurants chinois nord-américains.

– Qu’est-ce qu’il a dit? me demandes-tu.

– L’objectif d’un restaurant chinois à Toronto, c’est juste de servir à ses clients l’idée de la cuisine chinoise, de l’imiter, plutôt que de servir des plats authentiques.

Une citation de Extrait de Tu manges une orange. Tu es nue. de Sheung-King

Sheung-King traite de quête identitaire, de relation de couple, de désir, mais aussi de mémoire et d’histoires, aussi bien celle avec une majuscule que celles qu’on (se) raconte pour entretenir le mystère entre le vrai et le faux. Pour toucher à la part de mystère que chacun porte en soi, ou la révéler. À moins que ce ne soit pour combler le silence et le vide entre deux solitudes.

La traduction de Benoît Laflamme aux éditions L’Interligne, ancrée dans une langue française bien d’ici, témoigne éloquemment du fait que l’auteur habite au Canada.

La version originale anglaise de Tu manges une orange. Tu es nue. a été finaliste aux Prix du Gouverneur général en 2021.


Inde : dénoncer la violence de la pression sociale

Le livre «Femme pour moitié» de Perumal Murugan déposé dans le tronc d'un arbre creux.

À quel point l’opinion des autres peut-elle mettre en péril l’avenir d’un couple amoureux? C’est ce qu’explore Perumal Murugan dans «Femme pour moitié».

Photo : Radio-Canada / Valérie Lessard

Kali et Ponna sont mariés depuis une douzaine d’années. Le jeune couple de paysans est amoureux et mène une vie simple, mais somme toute heureuse, dans leur petit village rural du Tamil Nadu, État situé dans le sud de l’Inde. Somme toute, car il y a une ombre au tableau : malgré toutes les offrandes, prières et potions médicinales, Ponna, dès lors perçue comme Femme pour moitié, n’arrive pas à tomber enceinte.

Les deux amoureux ne veulent pas nécessairement devenir parents. Or, cette infertilité dérange beaucoup les gens autour d’eux. Au point où l’opinion des autres finit par insidieusement contaminer leur relation et teinter leur perception de leur rôle. Elle fait de Ponna la cible de stigmatisation humiliante au sein du village, convaincu que sa stérilité relève d’une malédiction pouvant être contagieuse. La virilité de Kali, elle, devient source de railleries tout aussi déshonorantes des autres hommes, l’incitant de plus ou en plus ouvertement à se trouver une nouvelle épouse.

La simple idée de se remarier le rendait malheureux. Il devrait apprendre à gérer deux épouses. Avec Ponna, les bêtes et l’enclos, son monde était déjà complet : pourrait-il tout mener de front s’il accueillait une autre femme? Si cette dernière n’avait pas d’enfant, les rumeurs sur son impuissance persisteraient.

Une citation de Extrait de Femme pour moitié de Perumal Murugan

La pression devient cependant si forte que Ponna cédera aux demandes de leurs familles : elle prendra part à un ancien rituel au cours duquel un dieu fait homme lui fera don de sa semence. Kali et elle ne sortiront assurément pas indemnes de cette étrange cérémonie.

Par ce cinquième roman écrit en langue tamoule et publié en français pour la première fois en février dernier, Perumal Murugan explore avec sensibilité le quotidien et les émotions du couple. Ce faisant, il dénonce tout aussi habilement la violence de la pression sociale exercée sur Kali et Ponna pour concevoir au moins un enfant. Le prolifique auteur de 58 ans, lui-même issu d’une famille de fermiers du Tamil Nadu, remet ainsi ouvertement en question les tabous et croyances de son peuple, mais aussi la hiérarchie des castes.

Bien que l’action se déroule dans les années 1940, Femme pour moitié a soulevé l’indignation des extrémistes hindous, au point d’échapper de peu à la censure dans la foulée de sa publication en version originale, en 2010. À l’instar de ses personnages de Kali et Ponna, Perumal Murugan n’est d’ailleurs pas sorti indemne de toute cette histoire : en 2015, il annonçait sa mort en tant qu’écrivain. Il a repris la plume depuis, signant trois autres romans, en plus d’essais, de nouvelles et de recueils de poésie.


Sri Lanka : faire la lumière sur la face cachée de l’histoire

Une main qui tend le livre «Les Sept Lunes de Maali Almeida» de Shehan Karunatilaka vers un ciel nuageux.

C’est notamment à dos de nuages que le héros de Shehan Karunatilaka se promène dans l’Entre-Deux pour comprendre qui a orchestré sa disparition.

Photo : Radio-Canada / Valérie Lessard

Dès les premières pages des Sept Lunes de Maali Almeida, on comprend que ledit Maali Almeida est mort… et qu’il n’est assurément pas décédé paisiblement dans son sommeil.

Mais qui a tué le photographe sri-lankais, dont plusieurs remettaient en cause les allégeances politiques et d’autres, son orientation sexuelle? Maali Almeida aura justement sept lunes pour répondre à ces questions existentielles et faire la lumière sur les circonstances de son trépas.

Pendant ces fameuses sept nuits, on remonte donc le cours de l’existence du héros du roman de Shehan Karunatilaka, mais aussi, et surtout, le cours de l’histoire du Sri Lanka, cette petite île d’Asie située au sud de l’Inde dont plusieurs Occidentaux ont probablement entendu parler pour la première fois dans les années 1980 lors des attaques armées des Tigres tamouls.

– Ceylan était une île magnifique avant de se remplir de sauvages.

– C’est clair. Certains pays importent leurs sauvages. Nous, nous les engendrons.

Une citation de Extrait de Les Sept Lunes de Maali Almeida de Shehan Karunatilaka

Loin d’être un roman de facture traditionnelle, Les Sept Lunes de Maali Almeida relève plutôt d’une lecture joyeusement décoiffante. Shehan Karunatilaka prend d’ailleurs un évident – et très malin! – plaisir à parsemer son texte de nombreuses références populaires.

De sa plume à l’humour franchement décapant, l’auteur nous entraîne dans la quête de son personnage en multipliant les rencontres qu’il fait dans l’Entre-Deux, un genre de limbes où volent à dos de nuages toutes sortes de personnages, réels ou mythiques. Ces derniers nous permettent de changer de perspective sur les événements ayant mené à la mort de Maali Almeida, de même que sur ceux ayant façonné l’île et sa population au fil du temps.

Au final, on a ainsi droit à une lecture aussi fascinante qu’édifiante, où les fantômes des victimes collatérales des tensions politiques côtoient des créatures issues de la mythologie de l’île.

La traduction de Xavier Gros permet de savourer pleinement la finesse de l’écriture de Shehan Karunatilaka, qui a remporté le prix Booker en 2022 pour la version originale de son roman, brillant et dépaysant à souhait.

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