Source : Le Devoir
« Je n’aurais jamais été capable de réaliser ça il y a 10, 12 ans », affirme Philippe Falardeau. Ça, c’est Le temps des framboises, série de 10 épisodes de Florence Longpré (M’entends-tu ?, Audrey est revenue) et Suzie Bouchard, improvisatrice, humoriste et autrice, série portée par la musique de Martin Léon. Elle s’appuie sur une idée originale du cinéaste, à qui l’on doit notamment Monsieur Lazhar et My Salinger Year, et qui signe ici sa première réalisation pour la télévision.
« J’ai beaucoup appris dans leur écriture. Je suis arrivé au moment où j’étais un scénariste en panne, parce que j’avais assimilé les codes de la scénarisation. Je ne me suis jamais considéré comme scénariste ; j’aime la scénarisation et je pense que je suis capable de scénariser des films, mais ce n’est pas mon drive premier. Travailler avec elles m’a permis de m’émanciper », a-t-il raconté lors d’un point de presse à la Cinémathèque québécoise après la projection des deux premiers épisodes de la série produite par Trio Orange.
Tourné en grande partie en caméra à l’épaule afin d’être plus près des acteurs, Le temps des framboises met en scène une famille haute en couleur, les Conley, qu’un grand malheur vient de frapper. Foudroyé par un infarctus, John (Anthony Lemke) laisse dans le deuil sa femme Elisabeth (Sandrine Bisson, qui montre l’étendue de sa large palette), fonctionnaire municipale grâce à qui la ferme survit, et leurs fils, Junior (Elijah Patrice), joueur de soccer soucieux de son image, et William (Xavier Chalifoux), qui est sourd depuis l’âge de deux ans et s’exprime dans la langue des signes.
Chez les Conley, qui passent de l’anglais au français d’une phrase à l’autre, on retrouve également Martha, l’impériale matriarche (Micheline Lanctôt), son fils Denis (Paul Doucet) et ses filles — qu’Elisabeth surnomme les corneilles — Rachel (Ellen David), Maureen (Anne Beaudry), Estelle (Nicole Leroux) et Peggy (Kathleen Stavert).
Il y a aussi les travailleurs saisonniers qu’Elisabeth confond les uns avec les autres : Francisco (Edison Ruiz), très attaché à John pour qui il travaillait depuis plusieurs années ; Emilio (Jorge Martinez Colorado), qui ne parle pas français malgré ses 10 ans à la ferme ; et Luis (Johnny Cortes), meilleur ami de Francisco.
Sans contrainte
C’est dans un champ de betteraves, en 2005, durant le tournage de Congorama, que Philippe Falardeau a eu l’idée d’écrire sur les travailleurs saisonniers. Chaque matin, il voyait passer un autobus de travailleurs migrants qui se rendaient aux champs. Comme personne ne s’intéresse vraiment à eux, il a voulu savoir quelle était leur vie.
« Toutes les questions sous-jacentes de leurs conditions de travail, c’est abordé dans la série, dans les détails de certaines scènes. Parfois, c’est comme si on retrouvait des vestiges de l’époque des plantations de coton dans le sud des États-Unis. Ces enjeux-là sont incrustés dans le décor jusqu’à l’épisode 10. On s’était donné comme mandat de ne pas en faire le moteur dramatique de la série ; c’est plus leur humanité qui nous intéresse. »
Pour les besoins de la série, qui alterne de manière fluide entre le drame et la comédie, Florence Longpré et Suzie Bouchard ont fait bien des recherches. Non sans difficulté, elles ont obtenu des confidences de travailleurs saisonniers. Dans Le temps des framboises, elles ont voulu parler du beau et du laid. Et aussi de l’incommunicabilité. Non seulement de celle qui règne entre les Conley et leurs employés, qu’ils semblent tenir à distance, mais aussi de celle qui freine leurs propres échanges, souvent cacophoniques.
Philippe Falardeau révèle qu’il n’avait pas rencontré autant de désinvolture dans l’écriture depuis La moitié gauche du frigo, son premier long métrage de fiction, ce qui lui a permis de faire fi des contraintes télévisuelles.
« On me parlait de points de chutes, de pauses publicitaires ; je me disais que je ne pouvais pas faire ça parce que je ne serais pas bon et parce que les scènes avaient été écrites sans le “que va-t-il se passer ?”. C’est super le fun, mais super angoissant d’amener un épisode vers un atterrissage en douceur. Est-ce que ça prend le “que va-t-il se passer ?” au prochain épisode ? Je suis assez confiant. La tension qu’on crée, c’est pas une tension de “il y a un cadavre dans le fossé, qui l’a fait ?” ; on ne bénéficie pas de cet outil-là et on n’a pas essayé d’en créer des artificiels. J’aime beaucoup les fins d’épisodes, parce qu’elles sont douces. »
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