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Plonger au cœur de l’Arménie et de l’Algérie en trois livres

 

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La guerre et l’immigration peuvent laisser de profondes cicatrices en héritage. Que garde-t-on de l’histoire des siens, quand elle s’enracine dans la violence? Est-il vraiment possible de se délester d’un bagage intergénérationnel parfois très lourd à porter? De l’ intimiste au théâtre, en passant par le roman, trois autrices explorent ces réflexions en faisant le pont entre l’Arménie, l’ et ici; d’hier à demain.


Écrire entre fierté et fardeau

Le livre «Le chemin le plus sombre» d'Astrid Aprahamian déposé sur un sol en ciment sur lequel se trouvent des traces de pas.

Avec «Le chemin le plus sombre», Astrid Aprahamian retrace son parcours personnel à travers l’histoire du peuple arménien.

Photo : Radio-Canada / Valérie Lessard

Née en Arménie, Astrid Aprahamian est aujourd’hui Gatinoise d’adoption. Elle a d’ailleurs remporté le plus récent littéraire Jacques-Poirier, qui lui a été remis lors du Salon du livre de l’Outaouais en février dernier, pour Le chemin le plus sombre.

Entre essai et récit intimiste sur son rapport au génocide de son peuple, Astrid Aprahamian écrit et écrie tout ce qu’elle porte en elle : le poids de l’histoire, le devoir de , la fatigue émotionnelle face au traumatisme, la culpabilité de ne pas vivre dans la peur perpétuelle et son droit d’aimer en-dehors de sa communauté tissée serrée.

Ce Chemin le plus sombre, c’est celui de ses déménagements, vécus comme autant de déracinements. C’est surtout celui de tous les hommes et de toutes les femmes qui l’ont précédée, sur les champs de bataille comme dans l’exil.

Des traces du génocide sont parsemées dans chaque région de mon corps, explique-t-elle dès les premières pages de son livre.

Une femme qui pose en regardant vers la gauche. Elle est appuyée sur un mur de briques.

Astrid Aprahamian évoque, dans son livre, le poids du devoir de mémoire.

Photo : Gracieuseté de Leméac / Cassandra Tavukciyan

Astrid Aprahamian expose avec une lucidité implacable la notion de responsabilité.

Celle du gouvernement turc et de la communauté internationale, quant à la reconnaissance du génocide de 1915 et de ses impacts qui se font toujours ressentir plus d’un siècle plus tard. Celle des Arméniens, aussi, qu’ils se nourrissent du désir de vengeance ou du repli sur soi par réflexe de protection pour empêcher l’assimilation, par exemple.

Et sa propre responsabilité, à la fois source de fierté et fardeau. Astrid Aprahamian se raconte donc, de sa volonté de contrer l’oubli par sa mémoire acharnée qui refuse d’abdiquer à sa réalité d’être perçue comme une odar (une étrangère) au sein même de la diaspora arménienne établie à Laval, du moment où elle a choisi de poursuivre ses études au cégep à Montréal et d’embrasser le monde.

L’ tisse des liens entre les pensionnats autochtones et ce collège d’Antoura, au Liban, où les orphelins arméniens étaient envoyés pour y être acculturés. Elle évoque également son rêve de pouvoir un jour écrire ce polar dont elle a envie, et qui jaillirait d’ailleurs en elle.

Ainsi, elle étaye sa vérité toute personnelle au même titre que l’Histoire, entre introspection éclairée et faits établis. Si le chemin parcouru s’avère sans contredit sombre, il s’ouvre néanmoins sur son indéniable instinct de (sur)vie et son désir d’appartenir à un territoire qu’elle aura choisi.


Honorer les sien.ne.s

Le livre «Les déterrées» de Katia Belkhodja déposé sur un grand plateau.

Katia Belkhodja offre, avec «Les déterrées», un savoureux roman choral s’enracinant en Algérie et au .

Photo : Radio-Canada / Valérie Lessard

Avec Les déterrées, l’Algérienne d’origine et Québécoise d’adoption Katia Belkhodja signe un roman riche et puissant.

L’autrice fait une pelle du français, à la fois la langue du colonisateur, sa langue maternelle et la langue ayant mis sa vie en danger lors de la montée de l’intégrisme islamiste dans les années 1990. Et c’est de cette pelle qu’elle creuse habilement l’histoire de son pays natal et celle de sa famille, pour tresser la trame de son roman autour des racines et des branches d’un figuier ancestral.

Car, Katia Belkhodja transcende le temps et l’espace pour conjuguer le passé au futur. Elle assemble les pièces du puzzle identitaire de ses personnages qui, tout fictifs qu’ils soient, puisent un peu de leur caractère dans les membres de son clan.

Ce faisant, l’écrivaine rend un vibrant hommage aux femmes de sa lignée, ainsi qu’aux artistes, rebelles, scientifiques et mères oubliées qui ont pourtant contribué à façonner l’Algérie.

Elle a recours à des chapitres courts pour se promener entre hier et aujourd’hui, entre l’Histoire et la trajectoire des siens. Entre la cruauté des faits réels qu’elle décrit sans fard et la mémoire de sa famille, qu’elle évoque avec beaucoup de tendresse.

Une femme souriante.

Le roman de Katia Belkhodja s’articule autour des attachantes Inès, Doumia et Rym.

Photo : Gracieuseté de Mémoire d’encrier

À travers la violence des guerres éclatent les rires complices partagés par Inès, Doumia et Rym, la narratrice.

Par-delà la douleur du déracinement se dénouent quelques poignées d’épices pour transmettre les recettes du clan à la génération suivante.

Quand Mouna cuisine, elle met les épices au creux de ma main, de celle d’Inès, Mouna dit tes mains ont une mémoire. […] Au creux de ma paume, il y a un grain de beauté, il y a aussi une balance, écrit Katia Belkhodja.

Et parmi toutes ces voix féminines résonne aussi en écho celle d’Asias, le patriarche, insistant pour que tous ses descendants aillent à l’école, apprennent sans cesse, répétant une leçon chèrement acquise : On peut tout te prendre, sauf ce que tu as dans la tête.

On ressort des Déterrées avec la vivace impression d’avoir été convié à un repas de famille transcendant le temps et l’espace. D’avoir été un témoin privilégié de foisonnantes conversations, observations et taquineries, voguant du salé au sucré, en passant par l’épicé. Sans oublier, ici et là, des notes et des silences plus amers, mais tout aussi éloquents.

Ces échanges faits de secrets, souvenirs et grandes vérités historiques entremêlés pourraient sembler décousus. Or, ils sont portés par une plume maîtrisée (et une smala vraiment attachante) et se dégustent par petites bouchées, laissant éclater toutes les saveurs d’un roman concocté entre l’urgence de dire et le désir d’apaiser certaines plaies encore à vif.


Consoler le silence

Le livre «La femme de nulle part» d'Anna Sanchez déposé sur des albums de photos. Plusieurs photographies et diapositives se trouvent autour du livre.

Dans «La femme de nulle part» d’Anna Sanchez, Nora cherche à renouer avec une part d’elle-même en retrouvant sa grand-mère paternelle.

Photo : Radio-Canada / Valérie Lessard

La Montréalaise Anna Sanchez a obtenu son diplôme de l’École nationale de théâtre en 2021. Le public a notamment pu la voir sur scène dans l’adaptation de La femme qui fuit d’Anaïs Barbeau-Lavalette.

Sa Femme de nulle part aussi est une absente : Jeanne, la grand-mère de Nora, la mère de son père. Ce dernier l’a délibérément tenue à distance, en élevant sa propre famille à Montréal, tandis qu’elle habite seule à .

Lors d’un souper de famille, Nora, 24 ans, découvre une photo de sa grand-mère prise en Algérie dans les années 1960. Son petit monde et ses certitudes explosent, non sans faire des dommages collatéraux. Comme la bombe qui a blessé Jeanne, qu’elle connaît si peu, voire pas du tout, des décennies auparavant.

Révoltée, Nora se découvre des liens avec un pays dont elle ne sait rien. Un passé dont elle exhume dès lors des dates, des lieux, des images pouvant donner sens à ce qu’elle vient d’apprendre. Un vide qu’elle doit impérativement, furieusement, pour ne pas dire compulsivement, combler. Au point de suivre son frère à Paris.

Lui, aspire à devenir comédien, à vivre sans se poser trop de questions, et n’a aucun intérêt à ressasser toutes ces histoires de famille. Elle l’accompagne dans l’espoir de sortir Jeanne, septuagénaire aigrie et meurtrie, de son mutisme de gré ou de force pour comprendre qui elles sont l’une pour l’autre.

Une femme souriante qui pose.

Anna Sanchez propose un premier texte de théâtre se concluant sur une note poétique franchement (é)mouvante.

Photo : Gracieuseté de Productions Somme toute / Maxime Côté

La femme de nulle part est le premier texte de théâtre d’Anna Sanchez. S’il se termine dans un souffle indéniablement puissant et émouvant, il faut toutefois passer outre une entrée en matière moins convaincante.

À l’écrit, la mère de Nora agace, si obnubilée par son désir de prendre une photo, lors du repas de famille, qu’elle paraît complètement déconnectée de ce qui se passe. De plus, quand elle sacre, ça sonne franchement faux, sur papier.

Heureusement, le texte s’incarne mieux par la suite. Et Anna Sanchez cisèle des scènes et répliques nettement plus percutantes. Comme lorsque la Jeanne de 25 ans évoque son exil forcé vers la France dans ces mots magnifiques : Un corps qu’on arrache à la terre, c’est un scandale, ça doit forcément faire un vacarme semblable à l’arbre qui tombe. […] On croit que ça sera comme le vent. Un corps qui traverse l’espace, ça devrait chanter comme le vent. Non? Non… Au final, un corps qui part, c’est d’une indécente discrétion.

L’indécence, ici, serait de ne pas tendre l’œil à Nora, à son père et aux Jeanne de 25 et 70 ans, malgré quelques bémols sur la version écrite de la pièce.

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