Paru en premier sur (source): journal La Presse
Œuvre fragmentée empruntant à l’autofiction et au monologue intérieur, où s’immisce un mémoire de maîtrise sur les troubles alimentaires dans l’œuvre de Sylvia Plath, Qui de nous trois s’égare est un objet littéraire particulier.
Publié à 9 h 00
La narratrice anonyme de ce récit porte une identité trouble et troublée. Violences familiales, troubles alimentaires, effacement identitaire : on la retrouve alors qu’elle débarque à New York, dans l’espoir de nourrir la rédaction de son mémoire de maîtrise. Dans l’ombre de l’autrice Sylvia Plath, suivant les traces d’Esther, l’héroïne de son roman The Bell Jar (La cloche de détresse), elle foule l’asphalte de la cité, s’inventant protagoniste de scénarios lumineux ou sombres, au gré de ses fabulations, même si les réminiscences de son propre passé ne cessent de surgir à la surface.
La narratrice se plonge dans cet abysse où réel et fiction se rencontrent et se nourrissent, funambule sur une fine ligne qui se floute de plus en plus. Le motif de la faim, qui crée le vide, fait écho à l’effacement d’Esther, à travers la plume de Sylvia Plath, effacement qui est aussi celui de la protagoniste en elle-même, au seuil de son « je ». La mise en abyme est vertigineuse, troublante.
Ponctué de passages de The Bell Jar et d’extraits du mémoire, ce premier roman d’Alizée Goulet (recueils de poésie Ennuagée et La tiédeur des sépultures) a nul doute de belles qualités littéraires, mais il semble destiné aux initiés — peut-être faut-il avoir lu Plath pour l’apprécier entièrement. Le lecteur demeure confiné en marge du récit, observateur du manque qui gruge son (ses) héroïne(s), où la seule vérité, en fin de compte, se tapit dans l’ombre des mots.
Iris Gagnon-Paradis, La Presse
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Qui de nous trois s’égare
Triptyque
156 pages