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Librairie Raffin à Repentigny, 50 ans, un demi-siècle et toute une histoire. On s’en doute, on ne devient pas une librairie d’envergure instantanément. Il faut y mettre les efforts, échafauder une pierre après l’autre, y croire malgré les embûches et avoir le feu de ses ambitions. Par bonheur, Chantal Michel, propriétaire des Librairies Raffin avec son conjoint Martin Granger, n’a jamais manqué de vision. Pour preuve, les célébrations, cette année, de cinq décennies qui témoignent de la vivacité du lieu et de la compétence de toute une équipe convaincue du rôle fondamental de la lecture.
Pour tenir fièrement debout et apparaître comme des ports de prédilection aux yeux de ceux et celles qui s’y rendent, les Librairies Raffin ont eu la chance de voir se succéder, année après année, des personnes mues par un ardent désir de mettre le livre au cœur de la vie des gens.
Il faut remonter à 1930 pour voir apparaître la toute première Librairie Raffin à Montréal, créée par Jean Raffin, puis reprise par un homme d’affaires italien, avant qu’en 1969, Yvon Delisle, qui travaille dans le secteur de la comptabilité et du marketing, décide d’investir dans l’aventure Raffin même s’il n’a aucune expérience dans le commerce de détail. Chantal Michel le dira, pour être une femme ou un homme d’affaires aguerris, « il ne faut pas avoir peur du risque, c’est sûr et certain. Il faut croire en soi, ne pas avoir peur de travailler et être soi-même ». En 1974, Hervé Ouellet se joint à la librairie et forme le tandem idéal avec M. Delisle en faisant croître l’entreprise.
Il faut attendre 1975 pour qu’une succursale s’implante à Repentigny, une ville à ce moment en plein essor. Rapidement, on agrandit pour bonifier l’offre, accueillir la clientèle et bientôt devenir le centre névralgique de Raffin. Les enfants des familles Delisle et Ouellet prendront la relève, veillant à maintenir une interaction de proximité avec les gens du quartier ou de passage. Mais les finances sont difficiles et poussent aux mesures d’urgence. C’est à ce moment que la librairie sera rachetée par le couple Michel-Granger le 5 août 2009.

Un parcours atypique
Rien ne laissait présager que Chantal Michel, étant comptable agréée, engagerait temps et énergie à relever une librairie, mais pour elle, c’était simplement un programme à sa mesure. « Quand j’étais à l’université, je disais toujours : mon rêve, c’est de rentrer dans une entreprise qui ne va pas bien et de la restructurer. » Raffin Repentigny lui donne une occasion en or pour mettre les choses en pratique, même si, de prime abord, elle ne pensait pas forcément à une librairie. « On me disait tout le temps que je n’étais pas une vraie comptable. J’ai toujours été une fille qui aime faire différent, dit celle qui à 24 ans crée avec Martin Granger SDM, une maison de distribution de livres à petits prix. Je ne sais pas comment l’expliquer, mais quand tu rentres dans le domaine du livre, c’est difficile d’en sortir. » Ce qui au début n’allait pas nécessairement de soi s’est donc avéré un moteur cardinal qui ne l’a plus lâchée.
Le milieu du livre se révèle un terreau fertile puisque chaque heure est différente, ce qui correspond tout à fait au désir et au caractère de Chantal Michel, qui possède la trempe, l’intelligence, le souffle et l’étoffe d’une entrepreneure. Selon elle, pour endosser ce statut, on se doit d’être multidisciplinaire et de voir devant en toutes circonstances. Car des paris à prendre, il s’en est présenté plus d’un. Leur compagnie de vente de livres soldés leur portait préjudice auprès des gens du livre, en plus des complications financières qui mettaient une ombre sur la librairie. Une étape à la fois, la nouvelle propriétaire a dû gagner la confiance de chacun et démontrer ses intentions de faire valoir le plein potentiel de Raffin. Aujourd’hui, après seize ans à redresser la librairie, à créer des ponts avec les divers partenaires, à entretenir les liens avec les employés et les clients, à proposer des initiatives et des projets innovants, à s’impliquer auprès de la coopérative des Librairies indépendantes du Québec, où elle a même assuré la présidence, Chantal Michel a largement fait ses preuves.
Quand en 2017 Raffin Repentigny perd son local et se trouve dans l’obligation de fermer temporairement, personne ne croyait à sa réouverture, sauf sa propriétaire, qui n’a pas baissé les bras. Après neuf longs mois à chercher une solution, la librairie renaît de ses cendres au 86, boulevard Brien. Pour avoir une devanture, un mur a dû être défoncé, un geste très symbolique qui atteste de toute la détermination qu’il a fallu pour durer. Célébrer cinquante ans revêt une importance d’autant plus particulière.

La lecture pour tous
Raffin Repentigny détient l’art et la manière de ce qu’est une librairie indépendante. Avant toute chose, l’excellence d’un service à la clientèle, quoique ces mots soient plutôt pragmatiques pour qualifier ce qu’il serait plus juste de nommer une relation à la clientèle. « Un bon libraire est à l’écoute de tous les lecteurs, de préciser Chantal Michel. D’ailleurs, la devise de Raffin, c’est “tous les goûts sont dans la lecture”, ça a toujours été comme ça. » Un adage qui dénote une intention d’ouverture et de démocratisation, affirmant qu’il y a un livre pour chaque lecteur. Ensuite, les conseils du libraire permettent d’éveiller la curiosité du client à des perspectives inédites et c’est là que la primauté du lien prend tout son sens. « On est des gens qui aiment être proches des gens, c’est ça qui fait que Raffin continue d’exister », déclare la propriétaire. Les conversations qui se logent autour d’un livre suivent souvent toutes sortes de pistes, en disent long sur les intérêts et les expériences de chacun, suscitent confidences et anecdotes. La performance des algorithmes ne remplacera jamais le rapport humain que l’on peut développer et la finesse du conseil personnalisé qu’il est possible d’obtenir dans une librairie telle que Raffin Repentigny. Cette distinction reste la marque de commerce la plus éloquente dans ce point de rencontre qui doit faire face à mille et un enjeux à l’ère du numérique et de l’instantané. Bien des bouleversements sont survenus depuis cinquante ans dans le monde du livre et il faut constamment chercher des moyens pour évoluer avec les époques, les changements, les générations.
Chaque semaine comporte son lot de surprises, ce qui n’est pas pour déplaire à Chantal Michel, qui carbure aux défis. « J’ai encore du plaisir à être avec ma gang, j’ai encore du plaisir à me lever le matin en ne sachant pas ce que va être ma journée », dit-elle. Pour la suite des choses, il y a l’esprit de continuité qui l’habite, cette volonté de préserver ce qu’elle appelle « l’âme de Raffin », là où chaque lectrice, chaque lecteur est important. Et bien sûr, fidèle à elle-même — ce qui l’a invariablement servie —, elle compte bien imaginer des façons originales de penser la librairie afin qu’elle demeure un endroit rassembleur où on aime venir visiter la famille. « Je vais sûrement trouver d’autres idées pour faire différent encore plus », conclut-elle, jonglant déjà avec des scénarios plein la tête qui prédisent encore de beaux jours à Raffin Repentigny.
Les incontournables de Chantal Michel
Une mémoire de lion
Guillaume Morrissette (Saint-Jean)
Requiem pour la Dame blanche
Eric Fouassier (Albin Michel)
Ce que je sais de toi
Éric Chacour (Alto)
Faire les sucres
Fanny Britt (Le Cheval d’août)
L’irréparable
Pierre Samson (Héliotrope)
Librairie Raffin Repentigny
86, boulevard Brien, local 158A
Repentigny
raffin.leslibraires.ca
Photo : © Annie-Claude Beaudoin



