Paru en premier sur (source): journal La Presse
Patrice Lessard est le genre d’auteur qui pose plus de questions qu’il n’y répond. Il s’est inspiré de la frénésie de Naples pour écrire Rapines, faux polar vraiment méta, qu’on voit littéralement se construire sous nos yeux.
Publié à 7 h 00
« Pour moi, une enquête, c’est un peu la meilleure représentation de ce que vit un lecteur, explique le volubile auteur et professeur. Quand on lit, on est toujours en train de chercher quelque chose. Dans un polar, on cherche le coupable, mais par exemple là, je suis en train de lire un auteur roumain contemporain complètement fucké, et ce que je cherche, c’est ce qu’il est en train de faire, dans la forme, le motif. »
Patrice Lessard est un champion des mises en abyme et des jeux de miroir. C’est ainsi qu’on l’a découvert en 2011 avec Le sermon aux poissons, première partie d’une savoureuse trilogie lisboète. Il a ensuite publié trois polars plus linéaires qui se déroulaient au Québec – « pas parce que je voulais faire quelque chose de conventionnel, mais pour faire quelque chose que je n’avais jamais fait ! ».
Puis on n’avait pas revu son nom sur une couverture de roman depuis plus de cinq ans. Il revient cet hiver avec un livre plus proche de l’esprit de jeu sur la forme de sa trilogie. « Je lisais beaucoup de philo, j’essayais de trouver une forme dans laquelle il serait possible de ne pas faire que du récit, d’aller plus dans le discours, le réflexif. »
Disons que pour Patrice Lessard, les artistes ont une obligation de se renouveler, et qu’il aime se surprendre lui-même.
Il y a des auteurs qui font un plan de 120 pages pour en écrire 200. J’aurais l’impression d’être en train de creuser un tunnel !
Patrice Lessard
Il préfère l’autostimulation, répondre aux questions que le texte pose sans s’en apercevoir. « Ça a l’air ésotérique, mais pas tant. »
Dans Rapines, on suit donc P. – qui n’est pas Patrice, mais qui pourrait l’être –, qui travaille dans une banque à Naples, et qui fréquente assidûment un bar de quartier, l’enoteca Scagliola. Avec ses amis, ils inventent une histoire à partir du vol non résolu d’une statue de la Vierge, pendant qu’il développera aussi une relation avec une collègue, et qu’un vol de banque s’annonce.
Multipliant les digressions et les points de vue sur un même évènement, rebroussant chemin ou changeant de direction dans le temps, Patrice Lessard reproduit d’une certaine manière la fébrilité de Naples. « C’est la ville la plus électrisante que j’ai visitée de ma vie ! », lance-t-il. Mais cette Naples qu’il décrit dans ses moindres détails… existe-t-elle ?
« Oui ! Si tu y vas, tu iras à l’enoteca Scagliola, et tu vas voir que Nicola, c’est un personnage », explique celui qui aime écrire ailleurs qu’au Québec, pour l’ouverture stimulante que cela lui procure.
Un infini de possibilités
Rapines, c’est aussi un voyage dans la tête d’un auteur. Ce récit que construit la bande de P., toujours suspendu, toujours recommencé, c’est « un peu l’illustration de comment un livre s’écrit », avec tous les possibles que permet la fiction.
L’histoire finit donc par être racontée, malgré les intentions initiales du narrateur, explique-t-il. C’est vrai, mais ce braquage de banque annoncé pendant tout le livre, c’est quand même un peu énervant, non ? Notre réaction l’amuse beaucoup.
PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE
Patrice Lessard
C’est jouer sur les attentes. Après, si je te disais que c’est un roman à suspense, tu dirais « Patrice, tu exagères ». Mais j’aime créer des formes de petits suspenses. Et l’humour aussi, j’essaie de cultiver ça.
Patrice Lessard
Le mot rapine signifie vol, et c’est aussi ce que Patrice Lessard a fait, « rapiner » les auteurs qu’il a lus, comme la Française Danielle Mémoire et l’Argentin Juan José Saer, dont il aime la réflexion sur notre présence au monde.
« Ce serait prétentieux de dire ça, je n’oserais jamais me qualifier de philosophe, mais en m’inspirant d’eux, j’ai essayé de parler de comment on exprime le monde, du lien entre nos mots et la réalité. »
Trouver sa place
Patrice Lessard est fier de son livre, qu’il estime son meilleur. Mais il sait où il se place dans l’écosystème. « Ce n’est pas un roman grand public, je ne m’attends pas à en vendre 10 000. Mais j’ose prétendre que dans la littérature québécoise, il n’y a rien qui ressemble à ça, et qu’il y a une place pour lui. J’espère qu’on le verra comme ce que c’est, une œuvre artistique fondée sur une vraie démarche, une recherche, et non une reproduction du même. »
Comme professeur et comme écrivain, en fait, il aime bien « déprogrammer les réflexes de lecture ». Quitte à ce qu’on soit dérouté. « Mais la déroute, c’est bien ! »
Ce qui est certain, c’est qu’après autant d’années sans publier, Patrice Lessard est de retour. Il a trois projets de livre en marche, et il sait maintenant qu’il lui serait impossible d’arrêter.
« Pendant ces cinq-six années, je me suis demandé : “OK, j’ai-tu encore envie de faire ça ? Ça sert-tu à de quoi ?” Mais ma réflexion est celle de P. : si je n’écris plus, si je ne lis plus, j’ai juste à me laisser crever. J’ai au contraire envie de lire et écrire plus ! J’ai juste hâte de prendre ma retraite pour faire ça. »

Rapines
XYZ
240 pages