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Saisir des instants de bonheur

Source : Le Devoir

Les nouveaux recueils de Jean-Paul Beaumier et d’Hélène Laforest garnissent, depuis quelques jours à peine, les tablettes de nos librairies. Publiés respectivement chez et Tête première, et presque simultanément, Je voudrais tant croire que tout finira bien et Nous renaîtrons peut-être, malgré leur allégeance commune au genre exigeant de la nouvelle, ne se font certainement pas concurrence. Si les récits imaginés par Laforest s’ancrent dans une forme de réalisme magique, où se côtoient Airbnb et fantômes, ceux de Beaumier se déplient dans la tragédie et la douceur de vies d’adultes, confrontés à tout ce qu’il y a de plus universel : la maladie, la mort, la séparation, la vieillesse de nos proches.

« La mort surgit toujours au moment où l’on s’y attend le moins », écrit Beaumier dans « Je vais revenir demain », une nouvelle dans laquelle un narrateur s’adresse à sa mère malade et décrit, avec tant d’humanité, ses visites à l’hôpital. La « santé », dans le sens que nos années pandémiques ont attribué à ce terme, habite d’ailleurs l’entièreté de son œuvre : les mesures sanitaires de 2021 et 2022 ont laissé la marque de leurs griffes sur ses courts textes, que l’on imagine sans mal tirés d’histoires profondément personnelles. Avis aux récalcitrants, à ceux qui frémissent encore à la simple idée de se remémorer ces années de confinement, de masques, de désinfectant, de conférences de presse et — ce sont les termes d’un personnage de Beaumier — « d’infantilisation » : qui le souhaite plonge facilement sous cette première couche pour se retrouver nez à nez avec la fugacité de la vie humaine, la fragilité des relations familiales et amoureuses, abordées avec une magnifique vulnérabilité.

Si les thèmes de la filiation, de la mort ou de la séparation conjugale y sont tout aussi présents, Nous renaîtrons peut-être, le recueil de Laforest, explore d’une tout autre manière les relations humaines. Le ton résolument féminin nous entraîne là où la collectivité l’emporte sur l’individu, choix qui se répercute notamment sur la narration, plurielle, exploratoire, polyphonique. Tant de femmes sont portraiturées dans ce recueil, tant de voix ! C’est là un couteau à double tranchant, puisque le genre permet bien peu de lignes pour bâtir des personnages convaincants auxquels les lecteurs parviendront à s’attacher.

À ce à la fois latent et assumé se tressent des revendications écologiques, notamment par la promotion de modes de vie alternatifs, que ce soit par la création de petites communes de femmes, la mise en d’une jeune végane tourmentée, ou la fascination pour les semences de plantes. Voilà qui n’est pas sans rappeler les idées écoféministes initialement développées par Vandana Shiva dès les années 1970. L’objectif premier de cette grande intellectuelle contemporaine ? Rendre aux femmes indiennes leurs connaissances ancestrales sur les semences et leur croissance, dénonçant fermement au passage les grandes compagnies agroalimentaires, qui uniformisent les variétés d’aliments végétaux à la grandeur de la planète par la monoculture, tout en infusant les sols de produits chimiques.

Écologie et émancipation féminine sont intimement liées. L’écoféminisme contient aussi sa part de magie : les sorcières ne sont-elles pas ces femmes qui détenaient de fines connaissances en herboristerie, accusées de pactiser avec le diable ? Ainsi dans ces pages se succèdent une tatoueuse bien spéciale, qui utilise la chlorophylle en guise d’encre, des semences animées par l’ d’une noyée et une maison habitée par sa défunte propriétaire.

Finitude ou renaissance, aboutissement ou renouveau, les titres de Beaumier et de Laforest laissent présager le ton et l’angle choisis par les auteurs pour explorer un changement de paradigme, des pages à tourner. Mais n’allez pas croire que le recueil de Laforest ne laisse souffler que des vents d’espoir ni que celui de Beaumier n’est que pessimiste. Si l’un des personnages féminins de ce dernier « sait que les instants de se laissent difficilement saisir, qu’ils peuvent à tout moment lui échapper », il sait s’y accrocher quand même, tenir le fil du cerf-volant avec adresse, art et certitude.

Je voudrais tant croire que tout finira bien
★★★★1/2
Beaumier, Leméac, , 2025, 133 pages

Nous renaîtrons peut-être
★★★
Hélène Laforest, Tête première, Montréal, 2025, 330 pages

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