Seek You | Voyage au bout de la solitude

Paru en premier sur (source): journal La Presse

À mi-chemin entre l’essai graphique et le documentaire, Seek You, de l’artiste new-yorkaise Kristen Radtke, propose une incursion au cœur d’un phénomène vieux comme le monde et furieusement actuel : la solitude.

On a d’ailleurs dévoré ce « voyage dans la solitude contemporaine », un soir de solitude, justement. Il faut dire que l’ouvrage généreusement illustré et documenté, à la fois poétique, sociologique et scientifique, traduit de l’anglais chez Québec Amérique, a quelque chose d’envoûtant. Et d’inclassable.

L’autrice, également directrice artistique du magazine électronique The Verge, qui publie ses dessins dans plusieurs publications (The New York Times, The Guardian, The Atlantic, Vogue, Vanity Fair, etc.), plonge ici le lecteur dans son monde avec une grande sensibilité, à coup de dessins sombres et réalistes, mais aussi de réflexions, et surtout de faits. Elle a fait ses recherches, comme on dit, et ça paraît, à voir le nombre d’études scientifiques assez nichées ici citées.

Parlant de recherches, si vous pensez en apprendre ici un peu plus sur les conséquences des mesures sanitaires sur nos vies sociales pendant une certaine pandémie, vous n’y êtes pas du tout. Le travail de recherche de l’autrice a commencé dès 2016. Elle ne fait pour ainsi dire même pas mention de la COVID-19 et de sa pandémie de solitude, un choix qui peut sembler surprenant, mais qui se défend.

Sa quête, puisque c’en est une, au cœur de ce douloureux ressenti humain (cette « impression d’être sous l’eau, écrit-elle, pour vous donner une idée de sa sensibilité, de [se] débattre contre un monde muet ») n’a rien de ponctuel. Elle sonde un phénomène « sociétal » et « culturel », explique-t-elle en entrevue, beaucoup plus profond et « sur le long terme ».

D’ailleurs, souffre-t-elle particulièrement de solitude ? « Oui, parfois. J’imagine que comme tous les artistes, on vit de la solitude à un moment ou à un autre… »

Et comment définit-elle la solitude, au juste ? « C’est l’écart entre les relations qu’on a et les relations qu’on désire. […] C’est un sentiment de manque, qui n’a rien à voir avec la quantité de relations sociales qu’on peut avoir, mais plutôt leur qualité. »

C’est ainsi que Kristen Radtke révèle ici des bribes de son intimité (à commencer par la passion de son père pour la radio amateur, d’où le titre, inspiré du code « CQ »), pour ensuite mieux creuser la science, ainsi que la culture populaire, pourquoi pas la technologie. Elle ratisse ce faisant très large, on l’aura compris, sautant allègrement de son enfance dans le Midwest au mythe du cow-boy solitaire, pour réfléchir tout haut à la grande question des réseaux sociaux, et finir sur l’attachement des singes et des bébés. C’est dur à suivre par moments, mais sa griffe unique et ses questions quasi philosophiques finissent par servir de ligne directrice.

Un sentiment universel

Un mot sur la science, qui occupe une grande place dans le livre (mention spéciale à ses explications entourant les recherches funestes du psychologue Harry Harlow sur les singes). Si on sait aujourd’hui que la solitude est néfaste à long terme sur la santé, que les gens seuls ont généralement de moins bonnes habitudes de vie, même tendance à mourir prématurément, que reste-t-il à élucider ?

Elle ne se fait pas prier pour répondre. « Pourquoi certaines personnes vivent-elles plus de solitude que d’autres ? Pourquoi la solitude est-elle plus néfaste pour certains ? Et puis surtout : comment prévenir la solitude ? », interroge-t-elle. On l’a dit, « il ne suffit pas de mettre plein de gens seuls ensemble. Cela ne garantit en rien la qualité des liens ».

Dès qu’elle a révélé à ses proches qu’elle travaillait sur le sujet, Kristen Radtke a été inondée de témoignages, rapportés ici dans le livre. Certes très diversifiés ; « cela démontre bien à quel point la solitude est un sentiment universel… », note-t-elle.

S’il n’y a qu’une chose à retenir de ses recherches, c’est bien cela. « Il ne faut pas avoir honte de ressentir de la solitude ni être embarrassé, conclut-elle. Plutôt, il faut voir ça comme un signal biologique qui nous prévient qu’on devrait chercher à reconnecter. » Un appel à être seuls, ensemble ? « Exactement ! »

Seek You – Un voyage dans la solitude contemporaine

Kristen Radtke (traduit de l’anglais par Myriam Héritier et Gaëlle Cogan)

Québec Amérique

334 pages

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