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Souches | Mourir un peu pour rester en vie

Paru en premier sur (source): journal La Presse

ne s’imaginait pas écrire sur la leucémie agressive qui a failli la tuer. Avec Souches, elle signe pourtant un des livres les plus douloureusement, et lumineusement, justes sur le cancer.


Publié à 11 h 00

Si elle souhaitait ne serait-ce qu’espérer rester en vie, Myriam Ouellette devait recevoir une greffe cellules souches. Son dernier recours. Elle avait alors la mi-quarantaine. Mais comment trouver un donneur compatible ? Pour la fille d’une mère juive marocaine et d’un québécois, l’espoir reposait presque entièrement en son frère, avec qui elle était en délicatesse depuis plusieurs années.

« La difficulté, c’était de trouver un donneur qui avait exactement le même bagage génétique que moi », confie-t-elle à la table dans son appartement d’, pendant que la cadette de ses trois enfants, 12 ans, lit dans la pièce du fond. « Ce que j’ai appris, c’est que pour tous les gens qui sont métissés, c’est un défi de trouver un donneur compatible. »

Le drame indicible qui secouait sa vie lui offrait ainsi la clé d’un autre roman dont elle avait amorcé l’écriture il y a 15 ans, autour de la figure de sa mère, envoyée dans un kibboutz à l’orée de l’adolescence, parce que la crainte des horreurs de l’antisémitisme pesait encore lourd sur le des années 1950.

« Soudainement, tout s’emboîtait, parce que ma guérison reposait sur mon histoire familiale. Ma guérison devenait une histoire de filiation. »

L’ivresse de la survivance

À la fois journal de bord de ses traitements et généalogie d’une famille soumise aux soubresauts de l’histoire, Souches raconte avec une justesse qui prend à la gorge, bien que sans pathos aucun, la mise à l’écart à laquelle contraint la maladie, ainsi que les doubles mouvements d’un corps qui souffre, mais qui goûte aussi à l’ivresse de la survivance.

PHOTO FRANÇOIS ,

L’autrice Myriam Ouellette

« Quand on est malade, rien n’est banal, tout est vécu très intensément, explique Myriam Ouellette. Tu es dans un état perpétuel de survie. Chaque prise de sang vient avec une anxiété terrible, puis un soulagement, qui peut être grisant. C’est ce qui fait que sur le coup, on a l’impression d’avoir une nouvelle lucidité. Mais à mesure que la maladie s’éloigne, on retombe un petit peu dans la routine, dans la banalité. »

« Et tant mieux, s’empresse-t-elle d’ajouter, parce que cette intensité, elle est insupportable en même temps. »

Contrairement aux cancéreux pour qui la maladie aura été le creuset d’une sagesse nouvelle, Myriam Ouellette en émerge avec, certes, une connaissance inédite des confins agoniques dans lesquelles la douleur peut propulser le corps, mais pas auréolée d’une quelconque béatitude.

La maladie, c’est la rencontre avec son corps, avec lequel, sinon, on a un rapport un peu flou. Les traitements sont d’une grande violence. J’aime dire que pour tuer le cancer, il aura fallu me tuer un petit peu.

Myriam Ouellette

Et si on continuait de dresser la liste de ses apprentissages ? « Peut-être que la maladie m’a appris à vivre dans l’instant présent, laisse-t-elle tomber, même si c’est une expression que je trouve triste. C’est ce qu’on dit aux malades : il faut vivre l’instant présent. Ça me révoltait, parce que ce n’est pas ça, vivre pleinement. Ne pouvoir vivre que l’instant présent, c’est une sorte de résignation. »

L’autrice se remémore son hésitation, le premier hiver suivant sa greffe, à s’acheter un nouveau manteau. « Vivre pleinement, c’est pouvoir se projeter dans un avenir. Alors que là, je me disais : “Si je meurs, mon conjoint va rester pris avec ce manteau.” »

Le rétrécissement de l’existence

Dans Les hôtes (XYZ), son premier roman paru en 2022, Myriam Ouellette maniait une langue luxuriante, aux antipodes de celles de Souches, d’une infinie précision, mais dépouillée de toute pyrotechnie.

« Je suis allée un peu à l’encontre de mon naturel », explique la professeure de littérature au cégep du Vieux . « Ce qui convenait, c’est d’appauvrir la langue, parce que le monde se rétrécit quand on est malade. Il fallait donner à voir ce rétrécissement de l’existence. »

L’autrice n’est cependant pas de celles selon qui le seul vocabulaire approprié pour décrire la maladie serait celui, sans métaphore, de la science. Elle a aimé, écrit-elle, se faire parler de sa leucémie « en termes scatologiques, botaniques, alchimiques, militaires ».

S’il y a des gens à qui ça fait du bien de parler de lutte et de combat, comment puis-je leur enlever ce droit ? Je pense qu’il faut explorer toutes les façons de nommer la maladie. La métaphore, de toute façon, elle est inévitable. Même les oncologues utilisent des métaphores.

Myriam Ouellette

Exemple : à la suite d’une greffe de cellules souches, le greffé porte deux ADN. « On va alors parler de chimérisme. » Elle ouvre les bras. Demi-sourire. « Tu as devant toi une chimère. »

Myriam Ouellete s’était promis de n’écrire sur sa maladie que lorsque tout serait derrière elle et que son histoire aurait l’allure d’un objet « lisse et préhensible ». Ce qui aujourd’hui, maintenant qu’elle a pu reprendre sa vie, est en apparence le cas.

« Une des certitudes que cette expérience ébranle, c’est que la vie est un long fleuve tranquille. Rien n’est jamais lisse et préhensible. On utilise beaucoup cette expression : s’en sortir. On s’en sort physiquement, oui, peut-être. Mais qu’est-ce que ça veut dire au juste, s’en sortir ? »

Souches

Souches

Myriam Ouellette

Le Cheval d’août

240 pages

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