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Tobi Lakmaker | « Moins fille, plus garçon »

Paru en premier sur (source): journal La Presse

Premier roman signé Tobi Lakmaker, l’autofiction néerlandaise Ma sexualité en toutes lettres n’est pas exactement la lecture à laquelle on pourrait s’attendre. Bourré d’humour, avec un ton un brin décalé, oubliez ici le récit sur la transidentité anticipé. Bienvenue au contraire dans un monde de fluidité. Explications et appréciation, en trois temps.


Publié à 0h46

Mis à jour à 9h00

Pourquoi on en parle

Traduit du néerlandais par Daniel Cunin, en librairie ici le mercredi 4 septembre, Ma sexualité en toutes lettres, publié en 2020, doit être traduit en 12 langues prochainement. En Europe, l’intérêt est manifeste. Et généralisé. Acclamé aux Pays-Bas, Tobi Lakmaker a été sacré talent littéraire de l’année par le Vogue en 2021. Le roman est sorti en anglais en janvier dernier et le Guardian de Londres en a notamment célébré l’humour, et surtout une certaine et volontaire légèreté, plutôt inhabituelle pour un texte qui traite entre autres d’identité, faut-il le signaler. Le Irish Times a quant à lui souligné une plume « drôle, joyeuse et totalement irrévérencieuse ». Il faut savoir que l’auteur, Tobi Lakmaker, né en 1994 et aujourd’hui journaliste et chroniqueur à Amsterdam, a d’abord porté le nom de Sofie, prénom qu’il partage (partageait) avec son personnage principal. Ce n’est bien sûr pas un hasard. Autre similitude : son enfance, dans une famille juive intello d’Amsterdam. Sans oublier ses études : le russe, la littérature, puis la philosophie. Personne ne sera surpris et il ne s’en cache pas, Tobi Lakmaker s’est aussi « largement » inspiré ici de sa vie. « C’est l’histoire la plus intime que je devais raconter », a-t-il d’ailleurs confié au média United by Pop, en soulignant avoir été animé d’un sentiment d’« urgence ». Et on comprend rapidement pourquoi.

L’histoire

« Pour moi, être une femme – ça n’allait pas de soi », écrit le narrateur (pardon : la narratrice, Sofie, donc), d’une déclaration qui donne le ton, directe et sans grande explication, et ce, dès le prologue. Pour vous donner une idée, quelques lignes plus tard, « Vous tenez à en savoir plus ? Téléphonez-moi. À ce propos, je ne suis en rien une personne transgenre… » Certes, mais assurément une personne qui s’est toujours sentie « à côté de la plaque ». L’expression revient d’ailleurs à deux ou trois reprises dans ce récit sans fard, moqueur, quoique d’une franche vulnérabilité, sur la découverte de la sexualité de cette Sofie. Il y aura d’abord un certain Walter, et cette première fois « dingue » qui aura duré des heures (et il n’y a pas là de quoi se vanter). Puis Crétin D., avec qui l’acte sera aussi d’une « rare monotonie ». Viendra ensuite Jennifer, la toute première petite amie de Sofie. « J’ai d’abord craqué pour les hommes, puis pour les femmes, bien sûr depuis toujours pour les femmes. » Ce ne sera pas d’emblée plus simple, mais assurément plus tendre et surtout senti. Tranquillement, Sofie deviendra aussi de moins en moins « femme ». On ne vous dira pas tout, mais il faut savoir que le texte, non linéaire (et par bouts les égarements sont mélangeants, quoique toujours divertissants), raconte dans un deuxième temps ses études de littérature et de russe, plusieurs voyages scolaires, pour toujours et par différents détours en revenir à ses amours, et bien sûr sa sexualité. Ce qui nous vaudra cet amusant commentaire : « À cet égard, je ressemble un rien plus à Sigmund Freud que je ne le croyais. » La dernière partie du livre, très courte, aborde la mort de sa mère, qui l’a toujours appelée « ma fille », prétexte à une touchante réflexion.

L’intérêt

Un mot d’abord sur les abondantes références littéraires et culturelles néerlandaises, qui font de cette lecture un véritable voyage aux Pays-Bas. Il faut savoir que si le texte porte certes sur cette transition du personnage de Sofie, rien n’est ici tranché. À part sans doute ce malaise, qui relève de l’insupportable, quand elle passe devant un miroir et y voit son reflet. Pas étonnant que le texte soit aussi parlant. Sofie est « à côté de la plaque », on l’a dit, mais qui ne l’a jamais été ? En racontant cette étudiante en lettres qui rêve de devenir célèbre, à qui on ne cesse de reprocher ses cheveux trop courts, en proposant un personnage fluide, qui ne rentre dans aucune case, tout en subissant les regards et commentaires d’autrui (et certains passages sur la scène lesbienne d’Amsterdam sont truculents), sans parler de toutes ses crises d’angoisse et maux de ventre inexpliqués, Tobi Lakmaker se révèle d’une grande vulnérabilité, quoique sans jamais perdre son ton de légèreté. Et quand, en conclusion, on y lit que sa Sofie souhaite devenir « moins fille et plus garçon », revendiquant ainsi ouvertement cette fluidité, la nuance prend tout son sens. Elle rappelle d’ailleurs les propos récents d’un auteur bien de chez nous. Récemment en entrevue avec notre collègue Marc Cassivi, Kev Lambert (prénom qu’il utilise désormais), également en transition, quant à lui plutôt « ni fille ni garçon », a dit ceci : « la fixité, la pétrification, ça m’angoisse ». Manifestement, Tobi Lakmaker n’est pas seul. Et sa plume nous ouvre une fenêtre sur sa réalité, aussi complexe et mouvante soit-elle.

Ma sexualité en toutes lettres

Ma sexualité en toutes lettres

Tobi Lakmaker

La Peuplade

246 pages

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