Comment dire « ce mal impensable qui nous constitue » ? Comment raconter « l’extrême violence sans violence des abus » ? À la fin des années 1980, le beau-père de Neige Sinno, un petit tyran domestique, « un titan et un minable », fait d’elle, alors qu’elle avait sept ans, son objet sexuel pendant plusieurs années.
C’est à l’âge adulte, après avoir quitté la maison et même la France, qu’elle trouve la force de dénoncer son agresseur — surtout pour protéger son frère et ses soeurs plus jeunes. Et qu’elle trouve le courage de raconter son histoire publiquement, au cours d’un procès médiatisé, jetant l’opprobre sur elle-même, sur sa famille et sur le petit village des Hautes-Alpes où l’affaire a eu lieu. L’homme, qui a avoué et reconnu les faits — tout en se justifiant —, sera condamné à neuf ans de prison « sans obligation de soins ».
Prenant la plume à 44 ans, après de longues études (un doctorat à l’Université du Michigan, aux États-Unis), aujourd’hui en couple et mère d’une petite fille, vivant depuis 2006 dans le Michoacán, au Mexique (« On n’est jamais assez loin. »), Neige Sinno expose dans Triste tigre son histoire pour essayer de raconter et de comprendre l’impensable.
Pour y arriver, elle a recours aux textes. Du Lolita de Nabokov à L’adversaire d’Emmanuel Carrère, de l’enquête de terrain de Jean Hatzfeld sur les horreurs au Rwanda à Christine Angot, de Virginie Despentes à Toni Morrison ou à Virginia Woolf. Jusqu’au troublant Tigre, tigre ! (Flammarion, 2012) de l’Américaine Margaux Fragoso qui a nourri à sa
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