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Il y a du feu dans la cheminée. Les flammes dessinent des formes sur les murs de pierres tricentenaires. Réputée hantée, plongée dans une pénombre perpétuelle, l’Auberge Saint-Gabriel offre un décor idéal pour le mystérieux et l’inexplicable. Un courant d’air froid, une lueur insolite… ou une fourchette en inox.
« Elle ne m’appartient pas, me dit Luc Langevin, elle était sur la table. » Cette fourchette lambda, tenue solidement par le manche entre le pouce et l’index, est secouée quelques secondes avec vigueur. Abracadabra : l’une des dents a crochi. Puis, ce diable d’homme frotte d’un doigt le manche du même ustensile pressé contre sa paume, se concentre. « Si tu compares avec la tienne, tu verras qu’il y a une certaine courbure. » Il ne ment pas. « Voilà pour la partie performance de l’entrevue », conclut-il, d’un ton qui signifie : bon, maintenant, on peut passer à un autre appel.
Remarquez, je ne lui ai rien demandé. La conversation portait sur un passage de son livre, La science de l’illusion (Michel Lafon, 2018). « Les magiciens adorent les aimants, peut-on lire au chapitre 10, intitulé “L’électromagnétisme”. C’est notre accessoire préféré parce que, bien dissimulés, ils donnent au public l’impression que nous sommes capables d’agir à distance sur les objets […] Je connais des confrères tellement obsédés par les aimants qu’ils s’en sont fait greffer au bout des doigts… »
Ah ha ! Et si c’était ça, son truc ? « Luc, puis-je examiner le bout de tes doigts ? » En guise de réponse, il fait : « Hum ! hum ! hum ! » (C’est sa façon de rire, modèle de retenue et de maîtrise de soi, pas un « hum » plus haut que l’autre, bref, rien qui dépasse, à l’instar de sa chevelure disciplinée.)
Lorsqu’il est lui-même spectateur, Luc n’essaie pas de deviner le truc. « Je veux apprécier le numéro, rester dans l’émerveillement. La magie a le pouvoir de générer une émotion primaire, et c’est précieux. »
Il assure avoir écrit ce livre — publié en France — « pour lever le voile sur ce qu'[il] fait ». Lui qui a étudié religieusement le génie physique, l’optique et la biophotonique avant de défroquer à 25 ans y parle de physique quantique, de biais cognitifs, de persistance rétinienne… Et en profite pour saupoudrer ici et là un brin d’amour, et de sérieux, sur une profession qu’il estime « peu considérée, vue comme ringarde, regardée de haut. Quand c’est bien fait, cela demande pourtant une maîtrise égale à celle d’un violoniste. »
On y apprend aussi qu’il apprécie Houdini et vénère Einstein, qu’il a souffert d’être mis à l’écart au secondaire parce que trop geek, et qu’il était d’une timidité maladive. Avec le temps, il l’est moins. Un gin tonic fait le reste.
Il est arrivé en chandail et veston, vêtu à quelques détails près de la même façon qu’il l’était à Paris chez Michel Drucker, à TVA pour Deux filles le matin, et six semaines plus tôt au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts, à la première médiatique de son nouveau spectacle, Vérités. Rien dans les poches, rien dans les manches ? « Mais non. Hum ! hum ! hum ! » Puis, il a empoigné la fourchette.
Ce « créateur d’illusions » n’est pas né de la dernière pluie : il sait que chaque personne qu’il rencontre espère être médusée. Si cette obligation sous-entendue de livrer une performance était amusante à 20 ans (« je ne vivais que pour ça, j’aimais les défis »), maintenant qu’il en a 40, elle lui pèse de plus en plus. « Les gens s’y attendent et c’est presque un problème. Je le fais beaucoup moins. » Une bénédiction pour l’argenterie… même si le tortionnaire de couverts l’avoue, c’est tentant. « Les interviews ont souvent lieu dans un restaurant et je les vois, là… », dit-il, le regard balayant la nappe.
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À l’occasion, il est contraint de s’exécuter. « On m’invite à des émissions de télé et ma présence est conditionnelle à ce que je fasse un tour de magie. Dans le cas de Tout le monde en parle, ça en vaut la peine. »
Luc Langevin y est allé quatre fois pour épater un million de téléspectateurs, ce qui est énorme, et il n’a toujours pas fait disparaître Guy A. Lepage. Une boutade, mais s’il planche un jour là-dessus… « Tout est possible, assure mon vis-à-vis. Il n’y a pas de limite. Tout est une question de budget. On peut faire disparaître l’Auberge si on veut. » La statue de la Liberté s’est bien volatilisée dans le ciel de New York grâce aux « dons » de son idole de jeunesse, le célèbre magicien américain David Copperfield… et à 500 000 dollars (de 1983). Alors, un animateur…
Avec Vérités, Luc a également misé gros : le dernier numéro a coûté à lui seul 100 000 dollars. Des cacahuètes à l’échelle de Las Vegas (un exemple parmi plusieurs : 100 millions de dollars en 2008 pour le spectacle Believe, du magicien Criss Angel), mais une somme considérable à l’échelle québécoise. « Il ne faut pas comparer, avertit Luc. Quand on fait des tournées, concevoir des illusions qui peuvent s’adapter à toutes les salles, de L’Étoile de Brossard au Théâtre Hector-Charland de L’Assomption, reste le plus gros défi. » C’est le cas en particulier pour le moment (stupéfiant) où il se téléporte de la scène au hall d’entrée, une distance qui varie d’une salle à l’autre.
L’argent, ce mot quasiment tabou chez les artistes, est un sujet que Luc aborde naturellement. Sans doute parce qu’il en faut pour se hisser parmi les plus grands, et peut-être aussi parce que c’est (en partie) le sien qui est en jeu.
[Mon fils] n’a pas fait ses nuits avant 18 mois. Je ne pouvais plus me dévouer à mon métier comme je l’avais toujours fait. J’ai mis une croix sur mes ambitions. »
« On n’est pas payé pour passer à l’émission de Drucker. Donc, on dépense 15 000 euros pour faire cinq minutes à la télé sans savoir si on va vendre des billets. C’est très risqué… » Présenté à Vivement dimanche en 2016, son tour de prestidigitation où il rajeunit jusqu’à ses 14 ans s’est avéré un excellent investissement : le natif de Saint-Augustin-de-Desmaures, en banlieue de Québec, a su attirer la foule au Casino de Paris. Il y