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Vers une télévision plus inclusive pour les personnages non binaires

Source : Le Devoir

En 2018, dans un entretien au pour un texte sur la transidentité dans les séries de fiction, Stéfany Boisvert, professeure à l’École des médias de l’UQAM, soutenait que la diversité de genre étant complexe, il fallait devoir représenter à l’écran des personnages non binaires. Elle citait l’exemple de Taylor Mason de la série américaine Billions.

« Ce qui est touchant avec Taylor, c’est que son interprète, Asia Kate Miller, a mentionné que c’est en lisant le scénario de Billions et sur ce personnage se revendiquant comme non binaire qu’iel a compris que c’était le terme qui définissait son identité », explique la professeure.

Dès 2016, la présence de Taylor à heure de grande écoute a eu un impact positif, car cela a permis l’apparition de personnages ne se sentant ni homme ni femme, se sentant comme les deux ou comme plusieurs combinaisons des deux. La professeure croit aussi que le coming out non binaire de vedettes, dont Jonathan Van Ness de Queer Eye, Sam Smith et Demi Lovato, y est pour quelque chose.

« Ça reste quand même un phénomène marginal à la télé, poursuit Stéfany Boisvert, mais on sent un accroissement de leur représentation et une prise de conscience au sein de l’industrie du manque de représentation des personnes non binaires. Après Taylor, j’ai l’impression qu’il y a eu une période latente. C’est seulement en 2020-2021 que l’on commence à en voir dans un plus grand nombre de séries. »

Elle rappelle d’ailleurs qu’avant Taylor, il y a eu d’autres personnages non binaires, notamment Yael dans la série canadienne pour ados Degrassi: Next Class. Contrairement à Theo dans Chilling Adventures of Sabrina et à Che dans And Just Like That, incarnés par les artistes non binaires Lachlan Watson et Sara Ramirez, le rôle de Yael était joué par une actrice cisgenre, Jamie Bloch.

Si tous ces personnages sont secondaires, du côté canadien, on fait montre de plus d’audace. Lancée en octobre à CBC, diffusée en anglais sur CBC Gem et, depuis vendredi, en français sur l’Extra de Tou.tv, la comédie dramatique En quelque sorte (Sort of) met en vedette l’artiste non binaire Bilal Baig dans le rôle de Sabi, personne non binaire issue d’une famille pakistanaise et musulmane. Et chez nous, alors ?

« Au Québec, j’ai l’impression que dans la dernière année, ça s’est déclenché avec Lou dans Sans rendez-vous et aussi avec Humberto dans Six degrés, qui fait son coming out non genré dans le dernier épisode », répond Stéfany Boisvert.

Le cas Lou

Si l’on s’attache à Lou, contrairement à Che qui a fait l’unanimité contre iel, certains déplorent que ce soit l’acteur cisgenre Mikhaïl Ahooja qui l’incarne dans l’adaptation de la websérie australienne Sexy Herpes (sur YouTube).

L’autrice de Sans rendez-vous (sur Tou.tv), Marie-Andrée Labbé, justifie ce choix par le fait qu’iel est en transition. Aux yeux de sa blonde Mélanie (Julianne Côté), iel demeure Jean-Philippe, tandis qu’iel est Lou pour ses collègues et les patients de la clinique où iel travaille. Sauf pour le Dr Gagné (Stéphane Crête), qui se plaît à le mégenrer.

« On allait aussi en flash-back, ajoute la scénariste. C’est difficile de demander à une personne non binaire de jouer la transition à l’envers. Les démarches ont été faites, mais aux auditions, ceux qui se sont rendus à moi n’étaient pas non binaires. Le fait que Mikhaïl ait approché ce rôle avec tant d’ouverture et de justesse ouvre une porte. Les commentaires que je reçois à propos de lui sont positifs. Mikhaïl a mis sa sensibilité au service de Lou et on est tous gagnants. Et iel aussi gagne ! »

S’étant fait connaître du grand public grâce à son rôle de Lucas, adolescent au début de sa transition qui poursuivait sa grossesse dans Toute la vie (sur Tou.tv), Lé Aubin, qui se définit comme personne non binaire transmasculine, se désole de certains choix de distribution.

« Tout d’un coup, on a un personnage non binaire, mais encore une fois, c’est un homme cis qui le joue, exprime Lé Aubin. Encore une fois, il faut passer par un homme cis pour faire passer certaines affaires. Il y a plein de personnes trans et non binaires formées en jeu, en danse, mais on ne les connaît pas. Dans les castings, on veut sélectionner des gens qui ont une visibilité et de l’expérience. Tant qu’à écrire un personnage non binaire dans une série où personne sur le plateau et dans l’équipe n’est non binaire, pourquoi ne pas saisir cette occasion pour faire découvrir un artiste non binaire ? De cette manière, on évite de tomber dans les clichés », croit l’acteur, qui trouve que le théâtre est plus avancé sur le sujet.

« Étant de la communauté LGBTQ+, confie Marie-Andrée Labbé, j’aspire à ce qu’on ait de plus en plus de gens de diverses orientations sexuelles et identités de genre à la télé pour jouer des personnages binaires, non binaires, cisgenres, transgenres. Pour moi, pour l’instant, c’est important que les acteurs puissent tout jouer. Dans les conversations qu’on a en casting, le dossier avance. »

Identité complexe

La représentation de la non-binarité dans les séries québécoises étant plus récente que dans les séries américaines, Stéfany Boisvert fait remarquer que cela a un impact sur les enjeux vécus par les personnages non binaires.

« Aux , ces personnages sont intégrés à l’histoire, mais le récit qui les concerne ne va pas porter uniquement sur leur identité de genre. On les intègre dans le récit de manière à montrer que leur non-binarité n’est pas en soi leur identité ; ils sont des êtres beaucoup plus complexes que ça. Au Québec, on concentre le récit sur les enjeux et les problèmes relationnels que vit le personnage à cause de sa non-binarité. On axe beaucoup le récit sur ce fameux coming out. »

« Si on regarde l’historique de la représentativité trans, je dis trans de manière large, car la non-binarité fait partie de la transidentité, il y a toujours eu une petite connotation négative. Souvent, le récit tournait autour de l’acceptation de cette personne, et donc du contrecoup négatif autour d’elle, des micro-agressions. Ça ferait tellement du bien d’avoir des personnages non binaires ou trans positifs dont l’histoire n’est pas axée sur leur identité et joués par des personnes non binaires ou trans. On en est vraiment aux premiers pas, alors mettons toutes les chances de notre côté », suggère Lé Aubin.

Pour sa part, Marie-Andrée Labbé souhaite qu’un jour, on laisse tomber les étiquettes : « Lou a une histoire ; on va se détacher de l’identité de genre, car iel ne doit pas servir qu’à ça. À la longue, on n’aura plus besoin de nommer. Dans une scène de Sans rendez-vous, il y a un groupe de polyamoureux à l’intérieur duquel il y a une personne non binaire dont on ignore le sexe assigné à la naissance et ce n’est pas nommé. Je trouvais ça parfait comme ça. On devrait s’habituer à arrêter de poser des questions sur l’identité et l’orientation. Bientôt, ça ne nous intéressera plus. Pour le moment, on doit encore préciser quelques affaires. »

Bien que la télévision québécoise se veuille de plus en plus inclusive, Stéfany Boisvert note que tous les combats ne sont pas gagnés. « Il faut bousculer la hiérarchie des personnages présentés à la télévision, l’hétéronormativité et la cisnormativité. Il faudrait diversifier l’identité ethnoculturelle des personnages non binaires. D’un point de vue intersectionnel, il y a encore quelque chose qui bloque. Pour beaucoup de créateurs télé, soit on représente la diversité culturelle, soit la diversité sexuelle, comme si on ne pouvait pas représenter les deux en même temps », conclut la professeure. 

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