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Violences ordinaires et autres

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Les détectives sourds ne sont pas légion… ce qui explique que la première enquête de Caleb Zelic (voir notre critique de Resurrection Bay chez le même éditeur) ne soit pas passée inaperçue. C’est l’instinct, l’énergie et surtout l’inaltérable ténacité — pour ne pas dire l’entêtement — de cet enquêteur australien hors-norme qui le rendent efficace. Dans Un monde en feu, on le retrouve quelques mois après la finale explosive de sa première enquête, toujours déchiré par la trahison de son ancienne partenaire, alors qu’une jeune femme terrorisée se jette sous une auto devant lui. Qui est-elle ? Qui la pourchassait ? Et surtout, pourquoi voulait-elle le contacter ?

L’enquête sera éminemment complexe et mènera Caleb de Melbourne à Resurrection Bay et même jusqu’à Adélaïde sur la piste de fabricants de drogue. Ses recherches seront d’autant plus difficiles que la communauté koori de la Bay est victime de violences racistes en toile de fond et que l’épouse aborigène de Caleb, Kath, prend ses distances par rapport à lui. Sans compter que notre détective se lance comme un électron libre sur toutes les pistes qu’il trouve… et que le bush est en feu ! Voilà pourquoi ce n’est qu’à la toute dernière seconde que les choses s’éclaireront enfin. Mais pas complètement, l’enquête de Caleb — dont on devine qu’elle se poursuivra dans un autre livre — n’apportant pas toutes les réponses aux questions.

On ressentira peut-être un certain agacement devant certains passages non résolus et, oui, le handicap de Caleb le rend vulnérable, ce qui engendre une tension souvent difficile à supporter. Mais l’écriture énergique (bien rendue par une traduction solide) et les personnages plus vrais que vrais d’Emma Viskic réussissent encore une fois à nous tenir en haleine jusqu’à la toute fin.

Au-delà de l’enquête policière, Viskic nous permet aussi de saisir l’intolérance des locaux face aux aborigènes, ce qui, même avec la distance qui nous sépare, n’est pas sans rappeler une situation pour nous familière, sinon systémique.

Visages de l’apocalypse

Jean-Jacques Pelletier n’a pas attendu les « exploits » de Vladimir Poutine pour se mettre à parler d’apocalypse, les 5000 pages des sept gros livres de sa série Les gestionnaires de l’apocalypse en sont une preuve évidente… tout comme la demi-douzaine de gros romans qui a suivi. Mais voilà que, surprise, le vieux routier du québécois a décidé de « faire court » et de regrouper dans En marge de l’apocalypse une suite de nouvelles illustrant, chacune à leur façon, son thème de prédilection : l’apocalypse, bien sûr. L’ensemble cache quelques belles surprises.

Dans la première partie de l’ouvrage, on retrouvera des personnages familiers de l’univers de Pelletier comme l’inspecteur Théberge et le romancier Victor Prose dans des situations limites, comme à l’habitude. L’apocalypse ici se conjugue au quotidien et globalement.

La seconde série de nouvelles, qui met en scène des « apocalypses personnelles », repose pour la plupart sur ceux qui ont succédé à Théberge comme l’inspecteur Dufaux, Natalya et même un rafraîchissant détective noir ayant pignon sur rue dans la capitale nationale. Chaque nouvelle, et le livre lui-même, se termine avec ce que Pelletier définit comme « l’envers du décor », un court texte où il explique les liens à faire entre ce que l’on vient de lire et l’ensemble de son œuvre, ce qui n’était pas vraiment nécessaire.

Mais quand on est Jean-Jacques Pelletier, on peut tout se permettre, ou presque.

Recommencer

Niko Tackian nous a habitués au dépaysement avec des livres naviguant chacun aux antipodes l’un de l’autre : Respire s’inscrit dans la même lignée en plongeant, cette fois, le lecteur sur une île presque déserte, quelque part au milieu de l’Atlantique Sud.

C’est une île un peu « spéciale » qui n’apparaît pas vraiment sur les cartes, une sorte d’« île de la dernière chance » où se retrouvent des paumés en mal de rédemption qui ont les moyens de s’offrir une mise à l’écart totale. Le de base et les conditions sont les mêmes pour tous les pensionnaires : tout est fourni, mais il faut s’engager à oublier sa vie d’avant et repartir à zéro.

Nouvellement arrivé, Yohan, qui est rebaptisé Achab-le-détective par les rares personnes qu’il rencontre, passe d’abord l’essentiel de son temps à comprendre ce qui l’entoure. Se souvenant très vaguement avoir été écrivain avant de quitter définitivement son ancienne vie, il se met à explorer l’île et découvre bientôt que d’autres solitaires habitent aussi le territoire dont certaines portions sont toutefois interdites. Sa quête l’amènera en des territoires insoupçonnés, c’est-à-dire au plus profond de sa conscience, on ne vous en dira pas plus.

C’est un livre déroutant, fertile en rebondissements de toutes sortes et porté par des personnages touchants, aussi évanescents que les vents du Sud. Un autre « vaisseau ivre » à mettre au compte de Niko Tackian.

Un monde en feu

★★★

Emma Viskic, traduit de l’anglais par Charles Bonnot, Seuil « Cadre noir », Paris, 2022, 380 pages
 

En marge de l’apocalypse

★★★

Jean-Jacques Pelletier, Alire, Lévis, 2022, 274 pages
 

Respire

★★★

Niko Tackian, Calmann-Lévy « Noir », Paris, 2022, 306 pages

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