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De Shediac à Montréal, l’artiste multidisciplinaire Xénia se démarque par son incarnation des identités queer et acadienne. Que ce soit par la poésie, l’écriture, la performance ou encore le théâtre, sa plume s’ancre au territoire par l’utilisation du chiac, laisse poindre une voix juste et pertinente qui trace les contours d’une identité qui, parce qu’elle se donne le droit de diverger, se fait pleinement sienne.
Le recueil des fleurs comme moi (Prise de parole), c’est l’éclatement de l’identité par le vers et la fierté ressentie d’être soi dans toute sa complexité. Mais plus important encore, c’est le témoignage d’une vie qui se dévoile et qui tend vers l’authenticité la plus complète. En quoi la poésie, voire l’art en général, constitue-t-elle le médium à privilégier dans un processus de découverte et de construction de soi?
Quand on est en découverte de soi, en questionnement, peu importe — ça peut être l’identité de genre, l’orientation sexuelle, ou juste des questionnements de vie comme où tu veux vivre, l’art peut venir dévoiler comment tu te sens vraiment. L’art peut agir comme un tremplin pour nos émotions, sans nécessairement mettre de mots à ce qu’on ressent. Moi, quand j’écris, je ne sais pas toujours ce que j’essaie de dire. C’est souvent plus tard que j’arrive à mieux comprendre. Par exemple, si quelqu’un m’avait demandé au début de l’écriture de mon recueil « en quoi est-ce que ta fierté queer pis ton acadianité ont rapport avec ton identité de genre ? » j’aurais pas pu donner une réponse concrète. Mais maintenant, c’est clair qu’à travers la poésie, le chiac et mon expérience queer-acadienne, j’explorais et je questionnais mon identité de genre.
Quelle place occupe la langue, qu’elle soit parlée ou écrite, dans la construction de soi? Et est-il plus facile d’évoluer vers une identité fluide à travers l’usage d’une langue, comme le chiac, qui introduit des perspectives diverses au sein d’une même locution?
Honnêtement, je ne sais pas si c’est « plus » facile, parce que moi j’ai pas eu d’autres options. Comme tout le monde j’ai grandi comme j’ai grandi, pis ej parle comme qu’ej parle. Bien sûr, j’aurais pu apprendre à « mieux » parler ou à parler une autre langue, mais j’ai choisi de continuer d’honorer mon dialecte en le parlant, en œuvrant avec, tout en étant fière. Alors de dire que c’est plus facile d’évoluer avec l’usage d’une langue comme le chiac, je sais pas… Par contre, je sais que quand ça vient à l’identité de genre, pour moi, le chiac a été essentiel. Je me questionnais sur mon identité de genre sans avoir de point de repère pour me guider. J’avais pas d’exemple culturel acadien de la non-binarité, de la transidentité ou d’une queerness affirmée. Et c’est avec le recul que je vois comment mon chiac a occupé une place dans ce cheminement en tant que boussole. Ayant grandi avec ce dialecte, c’était un dispositif familier qui m’apportait du confort. Une boussole dans ma quête identitaire. Mon dialecte, étant un mélange de deux choses, m’a aidé à comprendre que ce que je ressentais dans mon genre était normal.
Il y a beaucoup de pouvoir dans trouver sa propre voix. C’est pour ça qu’il est important d’apprendre à parler du cœur. S’exprimer comme on le veut, pas comme il le « faut ». Ce qui sort de toi quand tu vas pour t’exprimer, c’est ta voix. Pis c’est précieux, c’est connecté au présent pis c’est primordial à actually connecter avec chisse que t’es.
Quelle est la place et l’impact de l’art queer dans l’espace culturel franco-canadien, et comment cette expression artistique pluridisciplinaire contribue-t-elle à redéfinir les identités, les représentations et les enjeux sociaux au sein de ces communautés?
Ça qu’est vraiment cool à propos des artistes queer pis trans, c’est qu’on arrive pis on parle des concepts pis d’un vécu qui va au-delà de la fierté francophone. En tant qu’acadienne, je parle pas JUSTE de mon identité de genre ou de mon orientation sexuelle, mais de mon identité trans et queer qui vit À TRAVERS de mon acadianité. Les différentes parties de moi sont intrinsèques. Alors, j’apporte un regard sur le monde — therefore un regard sur la francophonie, qui est beaucoup plus large que celui que nous connaissons. Les queers apportent une nouveauté à quelque chose qui peut souvent feeler traditionnel, folklorique ou old school. Pis autant que la peur d’être assimilé est valide, parfois, cette peur fait en sorte que la culture franco minoritaire est moins actuelle. Moins ouverte. Moins en lien avec la culture populaire. Mais les queers, on vient briser ça. On vient montrer à nos communautés que même si on dévie de la norme, on a pas besoin d’avoir peur.
Apprendre à naviguer dans notre différence, c’est un mécanisme de survie que nous avons dû apprendre, alors apporter celle-ci dans nos communautés francophones minoritaires ne fait qu’enrichir tout autour. Nous étions, sommes, et serons toujours indispensables dans l’évolution de nos communautés. Parce qu’on dévie de la norme avec nos identités, on a moins peur de dévier de la norme avec notre art et notre langue. C’est en ouvrant la porte aux personnes qui se définissent en marge que la francophonie peut continuer d’évoluer, d’innover et de rester pertinente.
©Photo : Félix Bonnevie