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Au Québec, le théâtre autochtone se raconte au présent comme au passé. Quarante ans après la première création d’Ondinnok, compagnie pionnière du genre, l’exposition Yawenda’ s’installe sur la place des Festivals. Entre mémoire et transmission, elle retrace l’émergence d’une parole francophone longtemps marginalisée et désormais florissante.
C’est un moment très émouvant. C’est ici même qu’a commencé notre aventure. Aujourd’hui, la boucle est bouclée
, déclare en entrevue Yves Sioui Durand, comédien, metteur en scène et dramaturge autochtone, cofondateur de la compagnie Ondinnok.
Sur la place des Festivals, dans le Quartier des spectacles de Montréal, un pan de mémoire et de création autochtone se déploie à ciel ouvert.
Joliment intitulée Yawenda’, cette exposition photographique et immersive convie le public à un voyage dans le temps qui retrace quatre décennies d’un théâtre qui a contribué à redéfinir à sa manière les arts de la scène au Québec.

Yves Sioui Durand, cofondateur des Productions Ondinnok.
Photo : Radio-Canada / Ismaël Houdassine
L’émotion est d’ailleurs palpable chez Yves Sioui Durand, membre de la Nation wendat, venu inaugurer l’exposition. Ce lieu a pour lui une valeur hautement symbolique. C’est tout près de là qu’Ondinnok avait présenté, en 1985, sa toute première pièce à l’occasion du Festival de théâtre des Amériques.
C’est ici qu’est née, il y a 40 ans, une parole autochtone nouvelle, en français, sur scène. Être de retour ici 40 ans plus tard, c’est extraordinaire. Ce rendez-vous est un cadeau de la vie.
Présentée gratuitement du 11 septembre au 9 novembre sur la promenade des Artistes, Yawenda’ propose un itinéraire en sept vitrines extérieures, chacune mettant en lumière une facette de cette aventure collective.
Photographies, archives, témoignages et créations visuelles composent un récit en trois chapitres : le théâtre mythologique des débuts (1985-1995), le théâtre de guérison (1995-1999), puis le théâtre contemporain autochtone (de 1999 à aujourd’hui).
C’est vraiment un moment d’histoire
, souligne de son côté Dave Jenniss, directeur artistique d’Ondinnok et concepteur de l’exposition. Le parcours permet de comprendre non seulement l’importance de cette compagnie avant-gardiste, mais aussi de voir comment elle a ouvert la voie à d’autres. C’est un passage de témoin.

En 1985, Ondinnok a dévoilé à la Place des Arts sa première création, Le porteur des peines du monde.
Photo : Yves Dubé/Ondinnok
Les visiteurs sont invités à cheminer comme dans un voyage initiatique, de la parole mythologique à la mémoire blessée, puis à la renaissance contemporaine, où de nouvelles voix (Onishka d’Émilie Monnet, Menuentakuan de Charles Bender, Marco Collin et Xavier Huard, ou Productions AUEN de Soleil Launière) sont devenues les nouveaux porteurs du flambeau dramaturgique.
Une bande sonore spécialement composée par l’artiste innu Étienne Thibault accompagne également l’expérience, invitant à prendre le canoë avec nous
, dit Dave Jenniss, et à voyager à travers le temps
.
L’exposition se poursuit à l’intérieur de l’édifice Îlot-Balmoral, dans les locaux de l’Office national du film du Canada (ONF), à quelques pas seulement du parcours en plein air. Cet espace intérieur plonge le visiteur au cœur des racines d’Ondinnok.
On peut notamment admirer les costumes originaux de Xajoj Tun Rabinal Achi, pièce inspirée de la tradition maya et devenue emblématique de la démarche de recherche et de création menée par la compagnie.
Revenir sur ce parcours, c’est aussi rappeler les obstacles. Au début, explique Yves Sioui Durand, le plus difficile n’était pas le public, mais les institutions et les médias. On faisait face à beaucoup de discrimination, à une vision folklorisante. Les critiques ne savaient pas comment recevoir nos codes, nos langues, nos mythologies
.

Dave Jenniss est le direction artistique d’Ondinnok.
Photo : Radio-Canada / Ismaël Houdassine
Pourtant, Ondinnok n’a jamais cherché à séduire, poursuit-il. Son théâtre était un théâtre de vocation, profondément ancré dans une réappropriation culturelle et spirituelle. Nous étions en quête de nos propres histoires, pas de celles qu’on nous imposait
, indique ce Wendat.
Aujourd’hui, la situation a bien changé. La Commission de vérité et réconciliation, en 2015, a constitué un tournant, assure Dave Jenniss, membre de la Nation wolastoqey (Malécite). À partir de ce moment-là, il y a eu une ouverture. Les théâtres institutionnels nous ont donné une place. Une nouvelle génération de directeurs artistiques nous a permis de monter sur de grandes scènes. C’était une reconnaissance longtemps attendue.
Cette reconnaissance a nourri un essor sans précédent, qui dépasse largement le cadre de l’exposition Yawenda’. À Montréal, le festival des Autochtoneries a récemment pris ses quartiers aux Écuries, tandis que Kukum, adapté du roman de Michel Jean, a été porté sur la scène du Théâtre du Nouveau Monde.
Tout récemment, en 2024, la création Yahndawa’ – Ce que nous sommes a remonté au Trident et aux Écuries un siècle d’histoire huronne-wendate au moment même où le Théâtre autochtone du Centre national des arts (CNA) à Ottawa marquait son cinquième anniversaire d’existence.
Toutes ces initiatives témoignent d’un dynamisme inédit et trouvent un écho naturel dans Yawenda’, à la fois rétrospective de créations précurseurs et tremplin vers l’avenir. En effet, au fil des ans, Ondinnok s’est imposée comme la troisième compagnie de théâtre autochtone au Canada en matière d’ancienneté et comme la première en français, rappelle Yves Sioui Durand.
Au fil du temps, Ondinnok a sillonné l’Europe et les Amériques, travaillé dans les communautés, formé des générations d’acteurs et d’actrices, de créateurs et créatrices.
L’essence de ce théâtre tient dans sa capacité à arrêter le temps, ajoute Dave Jenniss. Les spectateurs nous disent souvent que ça leur fait du bien à l’âme. On crée un espace de pause, où l’on peut entrer dans notre univers, se laisser toucher par des histoires qui portent à la fois la douleur et la beauté.
Cette dimension de guérison n’a rien d’anodin. Elle est inscrite au cœur même de l’identité d’Ondinnok, dont le nom signifie rituel théâtral de guérison qui dévoile les secrets de l’âme
. Depuis nos débuts, nous avons travaillé à réparer les blessures du colonialisme, des pensionnats et de la dépossession
, ajoute Sioui Durand.

Offerte gratuitement au public du 11 septembre au 9 novembre sur la promenade des Artistes, l’exposition Yawenda’ se déploie en sept vitrines extérieures, chacune révélant une facette essentielle de cette grande aventure dramaturgique.
Photo : Radio-Canada / Ismaël Houdassine
Longtemps, Ondinnok a porté seule la voix du théâtre autochtone francophone en Amérique du Nord, dans un paysage culturel où ses initiatives pouvaient sembler isolées. Cette solitude a marqué ses premières années, mais elle a aussi forgé son identité. Quatre décennies plus tard, la compagnie n’est plus une exception : elle s’inscrit désormais dans un véritable écosystème artistique où de nouvelles troupes émergent et s’affirment.
Aujourd’hui, il y a une floraison de compagnies autour de nous, et c’est merveilleux. Voir cette génération prendre le relais et poursuivre le chemin que nous avons ouvert, c’est un signe d’espoir et de vitalité
, confie Yves Sioui Durand.
Un théâtre en quête d’un vrai soutien institutionnel
Le dynamisme actuel se mesure aussi dans les collaborations. En mars prochain, Ondinnok coproduira au théâtre Duceppe Tupqan | Nos territoires intérieurs avec Menuentakuan et Productions AUEN. Ce n’est pas une compétition
, insiste Dave Jenniss Nous sommes tous ensemble, une grande famille qui avance.
Pour Yves Sioui Durand, si les avancées des dernières années sont indéniables, le théâtre autochtone doit encore franchir plusieurs étapes pour s’épanouir pleinement.
La discrimination systémique a fait qu’on est en retard sur les avancées des arts au Québec en général. On réussit à faire des choses extraordinaires, mais il y a un grand besoin que l’art vivant autochtone circule dans nos communautés
, déplore-t-il
Les Autochtones sont la seule population qui n’a pas accès à ces artistes, à cause des distances et des coûts.
D’après lui, les institutions publiques doivent mettre en place un soutien particulier au cœur des communautés afin que les Premières Nations puissent elles aussi bénéficier de la richesse créative de leurs propres artistes. C’est une question de survie culturelle. Le théâtre et la danse autochtones ne se font pas seulement pour les Québécois, mais parce qu’on doit avancer ensemble, à l’intérieur de la société.
L’exposition intègre aussi une dimension visuelle forte. La vidéoprojection Woli kpotenom – Purification, conçue par Mélanie O’Bomsawin, explore la relation entre le territoire et la mémoire. Montréal y apparaît comme un espace vivant en transformation, traversé par des forces de régénération.
On parle toujours de transmission. Recevoir, puis donner à son tour. C’est ce que nous faisons avec cette exposition. On veut offrir au public un moment de partage.

Explorateur d’une dramaturgie autochtone originale, Ondinnok puise dans les traditions orales tout en explorant des formes contemporaines.
Photo : Radio-Canada / Ismaël Houdassine
Enfin, pour accompagner Yawenda’, un film vient prolonger l’expérience de mémoire et d’émotion : Salutations – Te’skennongweronne, réalisé par Carlos Ferrand et produit par l’ONF. Ce portrait intimiste consacré à Yves Sioui Durand dévoile, en images et en confidences, la trajectoire d’un artiste visionnaire dont la parole a ouvert un chemin inédit au théâtre autochtone francophone.
Récompensé en 2017 par le prix du Gouverneur général pour les arts du spectacle, il y apparaît non seulement comme un précurseur, mais aussi comme un passeur de récit, dont l’héritage continue de vibrer. Plus qu’un simple documentaire, ce film témoigne de l’influence durable d’un artiste autochtone.
Quarante ans après ses débuts, Ondinnok n’est plus seulement une compagnie : elle est devenue le symbole d’une reconquête culturelle et artistique.
Nous, les peuples autochtones, sommes les premiers habitants de cette terre, les peuples fondateurs de l’identité canadienne et québécoise. Avec cette exposition, nous démontrons notre présence vivante, aujourd’hui et pour demain
, conclut Yves Sioui Durand.