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Il faut lire Zola. La fin du XIXe siècle a tant à nous dire sur notre monde. C’est l’époque des grandes transformations politiques, artistiques, économiques, sociales. Zola est en quelque sorte le premier écrivain du nouveau monde, celui d’après 1850, un monde industriel, irrigué par les chemins de fer et le développement du système financier, un monde de plus en plus urbain où tout paraît sans limites, l’explosion des moyens de production comme l’accumulation des capitaux. Tout va vite, toujours plus vite. Ce monde ressemble tellement au nôtre.
Né en 1840, Zola grandira avec les révolutions, toutes les révolutions, de la deuxième moitié du siècle. Il verra le Second Empire, celui de Napoléon III, se déployer comme s’il représentait à lui seul la marche du progrès, puis mourir dans la déchéance et la défaite. La guerre de 1870 entre la Prusse et la France, qui provoqua sous ses yeux des traumatismes qui allaient survivre jusqu’à la Première Guerre mondiale, il l’a décrite admirablement dans La débâcle, roman très poignant sur la vie pendant la guerre. Zola sera témoin de tout un monde de déchirements. Entre une population affamée et besogneuse et de petits et grands industriels tétanisés eux aussi par une société en formation, mais désorientée. Entre la richesse des uns et la pauvreté des autres. Entre les injustices entraînées par une industrialisation rapide et des mouvements remettant en question toutes les structures de l’ancien monde. Zola assistera aussi, on le sait, à l’émergence des syndicats et aux combats ouvriers dont il témoignera dans son livre le plus connu, Germinal, sans jamais prendre le parti des uns contre les autres. C’est ce monde nouveau, aussi dur que rempli de promesses, qu’a voulu capturer Zola, à la manière d’un entomologiste.
Écrivain de la « vie moderne »
Fidèle au courant naturaliste dont il est l’un des protagonistes, Zola cherche à embrasser le réel, tout le réel, et à présenter la société dans sa totalité. C’est pourquoi il a tant aimé, en peinture, le travail d’un Édouard Manet de l’époque du Déjeuner sur l’herbe. Cette façon de peindre qu’avait Manet, au plus près du réel, sans jugement moral ni caricature, inspira Zola qui tenta de transposer cette manière de faire en littérature. Par la suite, Zola ne manqua pas de contester l’évolution du travail de Manet, considéré comme l’un des pères de l’impressionnisme. Car, en s’éloignant du réel, la peinture moderne délaissait la représentation réaliste ou naturaliste de la société, seul art qui comptait aux yeux de Zola.
Claudel disait que Zola n’écrivait pas une phrase, mais une page ! Zola, c’est encore l’écriture grand siècle. Une écriture parfois très proche du reportage, comme dans Au bonheur des dames, qui traite de l’émergence des grands magasins sous le Second Empire. Tom Wolfe et son New Journalism qui donna Le bûcher des vanités et Un homme, un vrai, qui figurent parmi les plus grands romans réalistes de la fin du XXe siècle, n’aurait donc rien inventé. Il est vrai que c’est encore l’époque de la publication des romans-feuilletons, qui firent la gloire des Balzac, Dumas et Hugo. Dans l’histoire de la littérature, Zola ouvre toutefois un nouveau chapitre alors qu’un autre vient tout juste de se fermer avec la mort de Balzac en 1850. Tandis que la structure de la société sous Balzac pouvait encore ressembler à la vie sous l’Ancien Régime, ce que l’on perçoit clairement dans La comédie humaine, les transformations de la deuxième moitié du siècle firent de Zola un écrivain de la « vie moderne ».
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Pour apprécier Zola, il faut parfois faire fi des petites histoires — même si elles sont par moments très drôles et très révélatrices du monde tel qu’il va, entre bêtise et frivolité — et s’attarder à la fresque, c’est-à-dire aux grands mouvements du monde qu’il dépeint avec talent, précision, mais aussi avec beaucoup de passion. Les romans de Zola sont descriptifs : il constitue une documentation considérable pour chacun de ses ouvrages et peut effectuer des recherches s’étendant sur plusieurs années. Cela n’enlève toutefois rien à la vivacité de son écriture et au plaisir que l’on peut en retirer comme lecteur.
Zola a signé plusieurs dizaines de livres. À elle seule, la série des Rougon-Macquart compte 20 romans publiés entre 1871 et 1893. Toujours, cette envie de décrire le monde, de personnifier l’époque. Autant Zola cherchait à être un écrivain « objectif », autant il aura aussi marqué son époque par ses interventions dans la vie publique. Celui qui avait commencé sa carrière comme journaliste a été, dans les dernières années de sa vie, mêlé à l’une des causes les plus célèbres que la France ait connues : l’affaire Dreyfus. Cette affaire, du nom d’un capitaine juif accusé d’avoir livré des secrets militaires aux Allemands, déchira la France pendant des années. La France se divisa entre ceux qui clamaient l’innocence de Dreyfus, les dreyfusards, et ceux qui le condamnaient, les antidreyfusards, que l’on taxait bien souvent d’antisémitisme. Zola fut l’un des grands défenseurs de Dreyfus ; non seulement l’un des plus célèbres, mais aussi l’un des plus déterminés, allant jusqu’à la publication d’un manifeste qui resta dans les annales de l’histoire comme l’une des interventions politiques les plus marquantes d’un écrivain, son fameux « J’accuse… ! ».
À la fin de sa vie, Zola était devenu l’homme de l’affaire Dreyfus. Son combat politique prit tellement d’ampleur qu’il occulta un temps son œuvre littéraire. Cependant, c’est par la puissance de ses romans qu’il a pu se rendre jusqu’à nous. On lit encore Zola aujourd’hui parce que ses livres nous parlent. Il fut un personnage controversé de son époque, dérangeant comme tous ceux et celles qui ont des choses à dire, 19 fois refusé à l’Académie française. Le mystère plane toujours sur sa mort prématurée à 62 ans, en 1902. A-t-il été assassiné par des antidreyfusards ou est-il mort accidentellement à cause d’un feu de cheminée ? Un très beau livre, Assassins !, de Jean-Paul Delfino, raconte cette histoire.
À la veille de sa mort, les dernières paroles de Zola avant de s’endormir ont été : « Demain, nous serons guéris. »