Source : Le Devoir
En novembre 2023, le cinéaste et dessinateur Michel Hazanavicius a délaissé les plateaux de tournage pour se rendre sur les lignes de front en Ukraine. Ce n’est pas un scénario qu’il était parti y chercher, mais une vérité brute, consignée dans des carnets de voyage réunis dans un ouvrage, dont la couverture jaune éclatant évoque l’une des trois couleurs du drapeau ukrainien.
L’invasion à grande échelle de l’Ukraine lancée par Vladimir Poutine en février 2022 a marqué une bascule, plongeant le pays de l’Europe de l’Est dans une guerre totale tout en fragilisant la stabilité mondiale. Donald Trump avait promis de régler le conflit en 24 heures s’il était élu président des États-Unis. Plus de 100 jours après sa prise de fonction à la Maison-Blanche, la Russie continue les bombardements…
À travers ses carnets, Michel Hazanavicius (couronné de cinq Oscar en 2012 pour The Artist) ne cherche de son côté ni à analyser la stratégie militaire ni à décrypter les enjeux géopolitiques. Ce n’est pas son propos. Il s’attache plutôt à restituer, avec humanité et pudeur, les visages et les destins bouleversés par une guerre où se jouent, dans le fracas des armes, la démocratie, la souveraineté territoriale et la dignité humaine.
Des portraits inoubliables
Invité à se rendre sur le front par un ami ukrainien — un chanteur devenu soldat, rencontré lors d’un précédent séjour à Kiev —, le cinéaste découvre une armée aux visages familiers, des hommes et des femmes ordinaires placés devant l’extraordinaire violence d’un conflit dévastateur. Parmi ces rencontres saisissantes, celle d’Olga, une jeune militaire d’une vingtaine d’années, ancienne championne de karaté et violoniste virtuose, dont la force et la sensibilité incarnent toute la complexité de ce conflit absurde.
À lire aussi
Il y a aussi le soldat Vlad, homme au grand sourire, mais qui a vécu l’horreur, comme tant d’autres. De cette expérience sur le terrain naît un ouvrage sensible à la fois modeste et bouleversant, où chaque mot et chaque dessin pèsent du poids de la guerre et de l’humanité qui résiste. « À l’heure où il est publié, je ne sais pas qui, parmi eux, est encore en vie », écrit Hazanavicius en préface. Une phrase qui dit tout : la vie qui ne tient plus qu’à un fil, l’urgence de témoigner malgré tout et le devoir de mémoire.
L’auteur parvient à s’effacer derrière ses rencontres. Ses textes sont dépouillés, sans fioritures ni effets de style. Il n’est pas question ici de grande analyse ni d’élans lyriques, mais d’instants saisis à hauteur d’homme. De Kiev à la ligne de front dans le Donbass, des témoignages sur ce cauchemar meurtrier qui hante l’avenir d’un peuple depuis plus de trois ans. Ce regard sans posture, presque naïf dans sa sincérité, donne à ces carnets une force singulière, celle d’un témoin qui écoute.
Ce qui est frappant dans ces pages, c’est à quel point la guerre en Ukraine, malgré sa contemporanéité, ressemble à toutes les autres : boue, peur, solidarité, camaraderie. Hazanavicius le sait — lui qui, cinéaste, porte en lui l’héritage du récit — et il en tire une leçon d’humilité. Ses compagnons de tranchée sont les véritables héros, des gens en chair et en os propulsés dans un chaos qu’ils n’avaient pas choisi. Le livre devient alors le miroir d’un déracinement collectif, d’une nation traumatisée, mais suspendue dans un avenir plus qu’incertain, entre espoir et survie.
À voir en vidéo
[...] continuer la lecture sur Le Devoir.