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Un extrait de Mille secrets mille dangers
J’écris Constance, j’écris Baddredine. Mais si j’écris, je le dois à monsieur Cho. Monsieur Cho, mon professeur de français. Je l’aimais et je l’admirais. Sa clairvoyance était grande. Monsieur Cho savait des choses sur le savoir, des choses sur le monde. Il était professeur de latin, de lettres classiques, il nous racontait les guerres puniques, César, le Rubicon, parlait des dieux grecs et des héros comme de sa propre famille. Un jour, pince-sans-rire, il avait noté, dans la marge de mon test de lecture, qui portait sur la poésie française du dix-neuvième siècle : « La littérature peut déplacer bien Desmontagnes… » Monsieur Cho est celui par qui j’ai découvert la culture. Je me souviens lui avoir confié que je ne lisais pas, que je ne connaissais rien à la littérature, que j’habitais dans une maison qui ne comptait qu’un livre, l’espèce de dictionnaire médical de ma mère. Je n’oublierai jamais sa réponse : selon lui, les jeux vidéo qui nous passionnaient tant, Édouard et moi, Zero Wing, Zelda, Metroid, les jeux que nous allions louer le vendredi après-midi à la sortie des classes, eh bien, c’était ça, nos classiques. Faire la connaissance de ce professeur, suivre ses cours, a débloqué quelque chose en moi. Je pouvais être moi-même, celui que j’étais, un fils d’immigrés du Petit Liban, je pouvais être moi tout en commençant à être un autre. Je m’évadais de ma tristesse en parcourant des mondes où deux plombiers italiens pourchassaient des champignons sur des