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Gilbert Sinoué | L’homme aux romans-mémoires

Paru en premier sur (source): journal La Presse

Gilbert Sinoué est un maître du roman historique. Né en Égypte, il a été parolier à succès dans les années 1970 avant d’accomplir un rêve d’enfance d’écriture à 40 ans. Avec Au couchant, l’espérance, qui vient d’arriver en librairie, il achève une trilogie sur le Maroc du protectorat français.


Publié à 8 h 00

Pourquoi écrire sur l’histoire marocaine récente ?

J’ai été invité par un ami à un club de lecture au Maroc. On m’a beaucoup parlé du pays et de son histoire. En me documentant, je me suis rendu compte que c’était du pain bénit pour un auteur, comme Guerre et Paix. Il y a des dynasties, des luttes de pouvoir, la colonisation, mais c’est le seul pays de l’Afrique du qui n’a pas été occupé, mis à part par les Arabes au VIIe siècle. Les Ottomans se sont mystérieusement arrêtés à la frontière du Maroc. Le pays n’a pas été colonisé, ça a été un protectorat français. Donc on a gardé le sultan, le commandeur des croyants, ce qui a permis au Maroc de mieux vivre l’indépendance, de ne pas dilapider les bénéfices de la présence française. De plus, c’est un pays qui a une étonnante histoire religieuse. Avant le christianisme, la religion prédominante était le judaïsme. Et le pays est resté berbère, même en devenant chrétien, puis musulman. D’ailleurs, il y a eu plusieurs dynasties berbères qui ont dominé l’Espagne.

Beaucoup de vos livres traitent de religion, y compris Au couchant, l’espérance, où il y a des juifs, des Français chrétiens et des Marocains indépendantistes qui se découvrent plus musulmans.

J’ai grandi catholique de rite grec en Égypte dans les années 1950. À l’époque, il y avait des Coptes, des juifs, des musulmans. On ne se posait pas la question de quelle religion était notre camarade de classe, comme à Cordoue au XIIIe ou au XIVe siècle. En arrivant en au milieu des années 1960, il y avait beaucoup d’émigrés musulmans, alors on parlait beaucoup de laïcité, de religion. Tout à coup, les gens étaient rangés dans une case. Je me suis très vite posé la question, en fait, c’est quoi la religion ? Sur les huit milliards d’humains, à peine la moitié sont monothéistes, l’autre moitié, les bouddhistes, les animistes, se foutent complètement de notre histoire. Je me suis demandé s’il y en avait une vraie. J’ai tout . Mais à l’époque, ce n’était pas comme écrivain, mais comme humain. Je suis profondément croyant, mais en quoi, je n’en sais rien. Spinoza appelait ça la substance.

Dans Au couchant, l’espérance, on évoque le sionisme et le départ des Juifs des pays arabes. Votre famille aussi a une expérience de déracinement ?

Mes ancêtres ont fui le Mont- après des massacres de chrétiens en 1860. Quand j’étais jeune, on nous considérait encore comme des étrangers, pas des Égyptiens. Ça s’est radicalisé avec Nasser [président de 1956 à 1970], ça a été comme l’Espagne de la Reconquista où on a chassé les juifs et les musulmans. Au Maroc, les juifs n’ont pas été chassés comme en Égypte. Certains ont quitté le pays par attirance pour , d’autres par peur d’être montrés du doigt comme en Égypte, en représailles aux victoires israéliennes. Par ailleurs, un de mes neveux, Éric Chacour, mon filleul, a connu du succès comme romancier chez vous.

Vous êtes chrétien, mais avez des personnages juifs et arabes. Comment évitez-vous l’appropriation culturelle ?

Je ne me suis jamais posé la question. Je crois que d’être catholique de rite grec me permet d’être très impartial envers toutes les religions. Dans mon expérience, les musulmans sont très touchés du fait que ce soit un chrétien qui, sans les encenser, parle d’eux, parle d’autre chose que du terrorisme.

Vous venez d’ailleurs de publier plus tôt au printemps L’âge d’or de la civilisation arabe.

Pour moi, c’est mon testamentaire. Un jour, j’ai lu un livre sur Aristote dont l’auteur disait que l’Occident ne doit rien au arabe, que c’était un mythe. J’ai voulu démontrer le contraire : comment l’invention de l’algèbre, les premières extractions de cataracte, les canons de la médecine, sont venus du monde arabe.

Pourquoi êtes-vous passé de parolier à romancier ?

Je suis devenu parolier après avoir entendu Brel sur le qu’exploitait mon sur le Nil. C’était une manière de gagner ma vie, j’avais peur de mon rêve d’être romancier. Heureusement, je n’ai pas eu d’immense succès comme parolier, alors je me suis lancé à l’approche de la quarantaine.

Pourquoi avoir choisi le nom de Sinoué ?

À cause de Sinouhé l’Égyptien de Mika Waltari [un auteur finlandais mort en 1979]. À 20 ans, j’ai eu un coup de foudre mystique pour le personnage. C’était freudien, j’étais exilé comme lui, il avait un parcours d’errance. Mais je garde les deux noms de famille, Sinoué et Kassab, sur mes pièces d’identité.

Au couchant, l'espérance

Au couchant, l’espérance

Gilbert Sinoué

Gallimard

336 pages

L'âge d'or de la civilisation arabe

L’âge d’or de la civilisation arabe

Gilbert Sinoué

348 pages

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